Voeux

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Cette période de l'année est l’occasion de renouveler des vœux qui ont probablement déjà été formulés il y a un demi-siècle (si ce n’est pas le cas, ils auraient pu l’être) : favoriser l’intégration, chez les formateurs et les enseignants, de la posture de «?facilitateur de l’apprentissage?», et les encourager en conséquence à abandonner celle de «?transmetteur de savoirs?».

Un article, récemment publié par L'Etudiant à propos de la désertion des amphithéâtres en première année d’études de santé, est l’illustration des conséquences du caractère hégémonique de la seconde posture, alors que si l’on formait comme on essaie de soigner (c’est-à-dire selon les données probantes et en suivant les recommandations d’experts), elle aurait dû être enterrée depuis fort longtemps. De fait, pourquoi un étudiant normalement constitué dépenserait-il de l’argent et perdrait-il du temps dans les transports, tout en prenant le risque de sortir d’un cours avec des notes incomplètes et partiellement erronées (comme le montrent les travaux réalisés sur le sujet et notamment synthétisés par McKeachie et Svinicki [2006]), dès lors qu’il peut avoir accès à un contenu fiable en tout temps et en tous lieux. C’est, du moins, la promesse offerte par la fameuse « numérisation des enseignements », y compris quand elle est réduite à sa plus simple et commune expression : la mise en ligne de diaporamas sonorisés.  

Dans ce contexte et en particulier lorsque les interactions en cours sont inexistantes, pour des raisons essentiellement réglementaires liées au sacro-saint et illusoire principe d’équité, la conclusion qui s’impose naturellement est la suivante : la plus-value du cours en présentiel est nulle. Pire encore, l’intégration du facteur temps — si précieux pour les étudiants de première année — et des considérations d’ordre économique fait catégoriquement pencher la balance du côté du « confort » de la chambre d’étudiant, au détriment de l’amphithéâtre, comme le regrettent les doyens interviewés par L’Étudiant. Ce constat est accentué par un phénomène décrit dans l’article — et que l’on ne peut que déplorer, car il amplifie les iniquités —, qui consiste à chercher dans les prépas privées ce que les étudiants ne trouvent pas ou plus à l’université.  

Plusieurs solutions sont exposées afin d’encourager les étudiants à revenir en cours. Elles peuvent être synthétisées à travers le souhait, exprimé par un doyen, « d’avoir des enseignants “plus pédagogues” en première année ». Les discours d’étudiants et d’enseignants rapportés dans l’article évoquent notamment l’intérêt de contextualiser les apprentissages en lien avec la pratique professionnelle future, et d’explorer les représentations antérieures des étudiants. Certains vont jusqu’à prôner les formats de classe inversée.  

Ces propositions ne pourront toutefois être mises en œuvre et n’auront de valeur aux yeux des différentes parties prenantes que si les enseignants initient ou poursuivent un changement radical de posture visant à inscrire leurs pratiques dans le paradigme de l’apprentissage, en délaissant le paradigme d’enseignement. Il s’agit d’« [être] convaincus que le processus d’apprentissage ne s’opère pas par transmission, mais par une construction propre à chaque individu, dans un environnement propice aux interactions. Dans une telle perspective, les enseignants sont invités à moins se focaliser sur la préparation de cours “à transmettre” et à se rendre davantage disponibles pour stimuler et accompagner les étudiants dans leurs apprentissages » (Poteaux et Pelaccia, 2023, p. 194). Nous vous suggérons à ce sujet de prendre connaissance de l’article rédigé par Jouquan (2003) il y a 20 ans, et dont le contenu reste aujourd’hui parfaitement d’actualité, notamment dans la comparaison qu’il offre entre les deux concepts, et à l’implication du paradigme de l’apprentissage en matière de formation et d’évaluation. En guise de synthèse, nous pourrions extraire de cet article la recommandation suivante : il est impératif de diminuer le temps d’enseignement de contenus au profit de séquences qui favorisent l’appropriation de ces contenus.

Utiliser du temps de cours pour faire autre chose qu’un cours est un principe souvent difficile à accepter par les enseignants et les formateurs, qui ont pour la plupart été exposés, durant leurs études, à des modèles qui occupaient l’entièreté du cours à parler, lire, schématiser, montrer et expliquer. Les facultés de médecine et des sciences de la santé ont pourtant des atouts indéniables pour les accompagner dans la transition vers « plus d’apprentissage et moins d’enseignement ». Elles furent ainsi, en particulier en France, parmi les premières à accorder un intérêt majeur aux questions de pédagogie, bien avant l’université dans son ensemble. C’est notamment dans ce contexte que sont nés, dès les années soixante, les départements de pédagogie médicale — aujourd’hui implantés dans toutes les facultés de médecine —, et que les instances chargées de la nomination des universitaires des disciplines et spécialités de la santé imposent à tout candidat d’avoir été formé à la pédagogie. Il s’agit là d’un modèle à notre connaissance unique dans l’enseignement supérieur.

Il y a cependant (encore) un « Mais » : la transition prônée dans cet éditorial produira les effets attendus uniquement si venir en cours permet aux étudiants de mieux réussir leurs examens. C’est le défi posé par le choix de la stratégie évaluative, qui conditionne les approches que mettront en place les étudiants pour apprendre. Qu’on le nie ou qu’on le regrette, dès lors que les étudiants sont notés et classés, ils ne travaillent aucunement pour devenir des bons professionnels de santé, mais pour réussir leurs examens. Si lire un support de cours ou écouter un diaporama sonorisé et en apprendre le contenu par cœur suffit pour réussir, le souhait de voir revenir les étudiants en cours demeurera un vœu qui pourra inlassablement être formulé pendant les cinquante prochaines années.

Jouquan, J. (2003). À quoi s’engage-t-on en basculant du paradigme d’enseignement vers le paradigme d’apprentissage ? Pédagogie Médicale, 4, pp. 163-175.
McKeachie, W.J. & Svinicki, M. (2006). Teaching tips: strategies, research and theory for college and university teachers. Boston : Houghton Mifflin Company.
Poteaux, N. & Pelaccia, T. (2023). Motiver les étudiants et les impliquer activement dans leur apprentissage. In: Pelaccia, T., Comment mieux former et évaluer les étudiants en médecine et en sciences de la santé ? (pp. 183 à 196). Louvain-la-Neuve : De Boeck Supérieur.
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