L'année 2020 devrait être marquée par le déploiement des réformes des premier (R1C) et deuxième (R2C) cycles des études médicales. Dans ce contexte, les articles analysés ce mois-ci dans la lettre d'information du CFRPS sont particulièrement riches d'enseignements.
La R1C ou la difficile diversification des profils des médecins
La R1C a avant tout pour objectif de diversifier le profil des médecins, en renforçant notamment leurs compétences "transversales" (c'est-à-dire celles dont peu de monde se préoccupe, étant donné qu'elles ne sont rattachées à aucune discipline). Cette perspective est salvatrice, dans un contexte où le médecin ne sera bientôt plus le seul décideur (les autres soignants, le patient et les outils d'intelligence artificielle étant amenés à occuper une place croissante dans ce que l'on qualifie couramment de "prise de décisions partagée") et où les médecins qui n'exercent leur profession que dans sa dimension technique seront à courte ou moyenne échéance remplacés par des outils qui réaliseront les mêmes tâches plus rapidement, plus efficacement et à moindre coût.
La réforme visera cette diversification par un double levier : il s'agira, d'une part, d'ouvrir l'accès à la deuxième année de médecine aux étudiants titulaires d'une licence dans des filières universitaires hors santé (par exemple, le droit, les sciences humaines et sociales, la biologie, etc.) et qui auraient bénéficié d'une initiation aux disciplines de la santé. Il s'agira, d'autre part, de demander aux étudiants de première année de médecine de s'initier à une autre discipline.
L'article analysé par Racha ONAISI dans cette lettre d'information permet de formuler l'hypothèse que la seule diversification du recrutement des étudiants en médecine ne sera pas suffisante pour diversifier le profil des médecins. Il sera nécessaire, sur le plan épistémologique, de modifier en profondeur le rapport des enseignants en médecine au savoir issu des autres disciplines que les sciences biomédicales et cliniques. Dans l'état actuel de choses, ce savoir est en effet appréhendé comme quelque chose de secondaire, qui viendrait "après", "à côté" ou "en plus" du savoir biomédical. Cette conception, si elle était amenée à perdurer, conduira les étudiants à adopter des comportements visant à cacher, voire à modifier l'identité professionnelle que la réforme est supposée les aider à construire.
La R2C ou la difficile et délicate question de l'évaluation
La R2C mettra fin à des pratiques évaluatives d'un autre temps. Même travesti par le prisme de l'outil technologique, l'usage quasi exclusif du QCM est une aberration dans des formations très professionnalisantes telles que les études de médecine. Afin de justifier le caractère hégémonique de cet outil dans la formation médicale pré-graduée, il était régulièrement argumenté que la faculté avait pour mission principale d'évaluer les connaissances, et que le développement et l'évaluation des compétences relevaient du milieu de stage.
L'article analysé ce mois-ci par Mathieu LORENZO confirme que si le stage est un milieu théoriquement idéal pour évaluer les compétences des étudiants, il se révèle en réalité peu adapté, notamment au regard des mécanismes psychoaffectifs complexes qui entrent en jeu dans la relation entre le superviseur et l'étudiant. Ces mécanismes conduisent les premiers a valider des étudiants qui ne devraient probablement jamais devenir médecins ou, du moins, chez qui des stratégies de remédiation devraient être mobilisées avant de les autoriser à exercer leur profession. Il s'agit là d'un argument important à avancer dans le cadre de la R2C afin de justifier le fait de privilégier une forme d'évaluation "semi-authentique" en milieu académique (en plus de la quête de standardisation, qui est évidemment entendable dans le cadre d'activités certificatives à forts enjeux inscrites dans une perspective docimologique de l'évaluation).
Plus largement, la réforme en profondeur des études de médecine devra être réfléchie au-delà de la seule réorganisation des modalités de formation et d'évaluation des étudiants. Il s'agit d'accompagner les enseignants et l'institution dans ce qui relève d'une véritable transition paradigmatique et identitaire, alors même que les acteurs de la formation médicale se sont pendant plusieurs dizaines d'années solidement enracinés dans un paradigme d'enseignement. Cet accompagnement implique notamment de produire du savoir sur des dispositifs, certes, peu innovants au regard des pratiques qui existent depuis de nombreuses années dans d'autres pays et d'autres filières, mais qui s'inscrivent dans un contexte et un environnement spécifiques, légitimant ainsi pleinement d'en évaluer les effets, à tous les niveaux. Dans cette perspective, les départements de pédagogie des facultés de médecine pourraient être amenés à jouer un rôle majeur - similaire à celui que l'on observe dans les pays qui ont connu ces réformes par le passé -, tant dans la formation des enseignants que dans la promotion et la conduite de travaux de recherche en éducation médicale.