Analyse d'articles scientifiques


Méthodes, techniques et outils pédagogiques

La psychologie du sport appliquée aux formations en santé : une revue systématique autour de la préparation mentale

Applying sport psychology in health professions education: a systematic review of performance mental skills training, Sandars et al. (2021), Medical Teacher - par Elodie HERNANDEZ

En janvier, c’est parfois l’heure des bonnes résolutions. Et souvent, la reprise du sport est en première ligne. Cet article a donc attiré mon attention : peut-on lier le sport et l’éducation, ou, plus précisément, la psychologie du sport et l’éducation des sciences de la santé ? Les auteurs ont réalisé une revue systématique de la littérature afin d’étudier comment la préparation mentale peut être appliquée en éducation des sciences de la santé.

De quoi parle-t-on quand on évoque la préparation mentale des sportifs ? Un sportif (de haut niveau) est préparé à utiliser ses capacités cognitives juste avant et pendant une compétition qui le challenge afin de maintenir ses performances. Par exemple, l’athlète contrôle ses pensées négatives avec des discours positifs qu’il se répète à lui-même, mobilise des visualisations de succès, ou encore de la relaxation physique.

Malgré une exploration de la littérature scientifique sur 20 ans et dans neuf bases de données, seuls 20 articles ont été sélectionnés dans cette revue. Pour être incluses, les études devaient contenir au moins un entraînement de type préparation mentale (avant ou pendant l'activité), chez des étudiants prégradués ou post-gradués en sciences de la santé, et évaluer l'effet de ces entraînements sur des performances cliniques. Les auteurs ont inclus des performances fermées (plus « techniques », comme une pose de voie veineuse) et ouvertes (plus « complexes », comme la coordination d’une équipe au cours d’une réanimation cardiopulmonaire). Les techniques de préparation mentale étaient la visualisation, la relaxation et le « self-talk » (un discours positif que l’on se répète à soi-même).

Ces 20 articles étant très divers quant aux méthodes utilisées, il n’a pas été possible de réaliser des comparaisons statistiques. Cependant, des tendances ont émergé de l’analyse. Les études qui ont montré un lien positif entre la préparation mentale et la performance semblent ainsi être celles qui reposent sur plusieurs modalités de préparation délivrées en face à face, au sein d'un groupe, et par un formateur/entraîneur expérimenté dans ce domaine.

Les auteurs ont formulé plusieurs recommandations pour la formation. Les préparations mentales doivent ainsi cibler des performances cliniques fermées et ouvertes. Elles doivent être espacées et répétées, avec des évaluations, de la rétroaction, et une possibilité de transfert dans de multiples situations, en milieu simulé et authentique. La seconde recommandation concerne l’entraînement en lui-même, qui devrait plutôt prendre place au sein d’un groupe, avec des modalités diverses, avec l'accompagnement d'un formateur expert, et avec des possibilités de personnalisation et de variabilité des situations proposées. La dernière recommandation cible les mesures réalisées lors de l’évaluation des performances. Les auteurs regrettent l’utilisation du rythme cardiaque, de façon isolée, comme paramètre trop souvent mesuré, car celui-ci ne reflète pas la performance de l’apprenant/athlète. Ils préconisent des mesures variées, multiples, qui permettraient d’évaluer l’impact dans la vie réelle.
 
Cette revue de la littérature m’a attiré, le titre m’a encouragé à choisir cet article, et pourtant, je suis restée sur ma faim. En effet, je pensais qu’il y aurait davantage d’études sur le sujet, et que des liens plus forts existaient entre les performances sportives et les performances en science de la santé. Je m’attendais davantage à ce que les entraînements des uns servent aux autres. En effet, après une journée de travail dans nos métiers de la santé, qui n’a jamais eu l’impression d’avoir réalisé un exploit à l’image d’un sportif de haut niveau qui finirait une course sur un sprint magistral, qui marquerait le but de la victoire ou qui aurait fait l’effort de sa vie en battant son record au marathon ?

Et si les meilleures résolutions de l’année étaient de s’inspirer des autres pour aller plus loin, de trouver des méthodes éprouvées et validées ailleurs pour les mobiliser à notre compte (et inversement), et d’en faire des articles utiles dans une approche pluriprofessionnelle de la formation ?

12 conseils pour questionner efficacement dans la formation médicale

12 tips for effective questioning in medical education, Pylman et Ward (2020), Medical Teacher - par Mathieu LORENZO

Questionner les étudiants en salle de cours ou en stage est l'une des stratégies les plus répandues et les plus efficaces dans la formation des futurs professionnels de santé. Il arrive cependant qu’un questionnement mal réalisé ne favorise pas les apprentissages des étudiants. Dans cet article, les auteurs développent, à partir des données scientifiques disponibles, de nombreux conseils pratiques pour un questionnement efficace. 

Parmi ceux-ci, le fait d'encourager les autres étudiants à co-construire l’évaluation de la réponse est intéressant. Imaginons que vous demandiez à un étudiant comment il prendrait en charge une découverte d’hypertension. L'intéressé répond qu’il débuterait par des mesures hygiénodiététiques. Vous pourriez alors poser la question suivante aux autres étudiants : « Est-ce que quelqu’un peut m’expliquer en quoi c’est une bonne option actuellement ? » Cette stratégie vise à prolonger la discussion avec les étudiants et à favoriser le développement d'une pensée critique. 

Une autre proposition est de donner du temps aux étudiants pour répondre. Des travaux ont montré que les enseignants n’attendent en moyenne qu’une seconde avant de donner des indices ou la réponse, après avoir posé une question ! Laisser trois secondes [note de la rédaction : d'autres travaux estiment le temps nécessaire entre six et dix secondes] a montré de nombreux bénéfices, parmi lesquels augmenter la longueur des réponses et faciliter la verbalisation de futures questions ou réflexions. 

Un article intéressant qui interroge une tâche considérée comme basique et routinière dans la formation des professionnels de santé. Pourtant, il y a bien souvent matière à améliorer ses pratiques de questionnement.

Indépendants et connectés : une exploration qualitative de l'expérience d'utilisation de podcasts éducatifs par les internes

Independent and interwoven: a qualitative exploration of residents’ experiences with educational podcasts, Riddell et al. (2020), Academic Medicine - par Elodie HERNANDEZ

Riddell et al. se sont intéressés à l'utilisation de podcasts (un enregistrement sonore et/ou vidéo accessible en ligne) dans la formation des internes de médecine d'urgence. Les auteurs ont étudié les motivations des utilisateurs de podcasts et la façon dont cet outil peut être source d'apprentissages. Il s'agit donc d'éclairer une pratique courante pour en rechercher les bien-fondés.

La méthode qualitative décrite dans l'article est remarquable. Elle a rassemblé six auteurs : cinq chercheurs familiers des podcasts et un chercheur chevronné en méthodes qualitatives, avec une expérience anthropologique. Des entretiens semi-directifs d'environ une heure ont été réalisés avec les internes. Les verbatims ont été co-codés par quatre auteurs. Les résultats ont été mis à disposition d'un groupe d'interviewés, afin d'attester de l'authenticité et du sens donné aux verbatims. Les participants étaient des internes en médecine d'urgence issus de trois universités (deux aux Etats-Unis et une au Canada). Cette spécialité a été choisie, car l'usage des podcasts y est courant et les podcasts en médecine d'urgence sont nombreux.

Seize entretiens ont permis d'identifier trois thèmes principaux :
- le podcast permet un engagement opportun
- le podcast crée un sentiment d'appartenance à un groupe
- le podcast permet des apprentissages personnalisés.

L'engagement opportun correspond au fait de pouvoir réaliser un apprentissage perçu comme "facile", qui nécessite une moindre concentration qu'une lecture, par exemple. En raison de son aspect mobile et pratique, il permet le "multitasking" : l'apprenant peut écouter le podcast tout en conduisant ou en rangeant sa cuisine... Les interviewés reconnaissent volontiers la dimension passive de l'apprentissage et la rétention limitée d'informations qui en découle. Leur choix du podcast était prioritairement guidé par la durée de la tâche principale qu'ils souhaitaient simultanément accomplir.

Le sentiment d'appartenance à un groupe est un point très intéressant. Le podcast est en effet perçu comme plus humain, plus personnalisé et plus authentique qu'une lecture. Certains interviewés déclaraient discuter du podcast avec leurs pairs, échanger des conseils d'écoute, et parler des sujets écoutés avec leurs supérieurs, pour confronter les avis. Certains supérieurs avaient d'ailleurs parfois tendance à discréditer les podcasts et on retrouvait également une forme de dissonance cognitive lorsque les experts du podcast relataient des pratiques différentes des pratiques locales. Dans ce contexte, les internes déclaraient adopter la "norme" locale.

Le dernier thème concerne les apprentissages personnalisés réalisés grâce à l'écoute de podcasts. Les résidents expliquaient choisir les podcasts selon plusieurs facteurs : curiosité pour un sujet inconnu, démystification de celui-ci ou, pour les résidents les plus avancés dans leur formation, identification de la nécessité d'approfondir un sujet. Ils décrivaient aussi retourner parfois lire un article ou un chapitre de livre sur le sujet écouté.

Riddell et al. avancent quelques pistes pour favoriser les apprentissages grâce aux podcasts. Compte tenu de la théorie de la charge cognitive, le "multitasking" n'est pas propice à des apprentissages en profondeur. Les auteurs proposent ainsi de réaliser des podcasts plus fractionnés, segmentés et référencés par segment. L'aspect communautaire mérite également d'être discuté. La réflexion apportée par rapport aux expériences authentiques relatées dans les podcasts est en effet riche d'enseignements : les résidents sont confrontés à des variations de pratiques, et donc, à l'incertitude, qui est un marqueur important de la pratique médicale. 

Cet article m'a paru utile en ces temps de réforme des études de santé, car le podcast est un outil qui peut être utilisé à tout moment, écouté partout, sur une multitude de supports, et de façon asynchrone. Et même s'il consiste en un apport unilatéral d'informations, il permet de mobiliser des éléments peu abordés en milieu académique, dont la discussion autour d'attitudes et de pratiques professionnelles différentes. A la suite de cette lecture, j'ai cherché des podcasts en éducation médicale. On en trouve beaucoup, surtout en anglais. Si vous souhaitez occuper un temps en mode multitâche, pourquoi ne pas écouter Medical Education Podcasts, JAMA Clinical reviews, ou encore TED talks santé ou éducation ? Et si vous avez encore plus de temps, pourquoi ne pas vous lancer dans la création d'un podcast d'éducation médicale, sur un sujet qui vous tient à cœur ?

La validité pédagogique : une clé pour comprendre les différentes formes d'un "bon" enseignement

Pedagogical validity: The key to understanding different forms of ‘good’ teaching, Pratt et al. (2019), Medical teacher - par Chloé DELACOUR

Nous sommes tous habitués à l'usage du terme de validité dans le champ de l’évaluation. Dans leur article, Pratt, Schrewe et Pusic nous invitent à discuter de la validité pédagogique en général, celle qui fait le « bon enseignement ».

Les auteurs décrivent quatre perspectives de validité pédagogique pour expliquer les différences de démarches entre enseignants. A la base de ces perspectives se trouvent les références et croyances de ces derniers, mais également leur vision du but de l’enseignement (« buts » que les auteurs nomment « conséquences », soulignant bien l’impact de l’interaction entre enseignants et étudiants).

La première forme de validité est la validité intellectuelle. C’est celle des enseignants qui conçoivent le « bon enseignement » comme celui qui permet de créer un lien fort entre les savoirs disciplinaires et l’étudiant.

La seconde est la validité relationnelle. Les enseignants dont c’est la perspective principale mettent en avant l’importance du respect et de la confiance mutuels entre étudiants et enseignants. Ce sont des professionnels du feed-back efficace, à la fois bienveillant et motivant.

La troisième est la validité morale. Ce n’est pas seulement une perspective dans laquelle l’enseignant doit être transparent sur son sens éthique et présenter une congruence entre ses mots et ses actions.  C’est aussi celle de l’acceptation du débat : être prêt à ne pas être compris, voire être critiqué par les étudiants dans les situations d’incertitude ou complexes pour lesquelles il n’existe pas de guidelines.

La dernière forme de validité est la validité culturelle. Chaque enseignant doit pouvoir conscientiser le fait de jouer un rôle défini par son environnement culturel, dans lequel il ne peut faire que des ajustements afin de trouver de la place pour sa propre identité culturelle. Le tout venant se confronter à l’identité culturelle des autres enseignants, des étudiants et des patients lors de la supervision en milieu clinique. Le « bon enseignement » reposera alors sur le fait de reconnaître que sa parole n’est pas la seule vérité existante.

Et pour vous, quelle perspective semble le plus forger votre identité d’enseignant ? Comment intervient-elle dans votre façon d'animer vos séquences d’enseignement ?

La résistance des étudiants à l'apprentissage collaboratif

Student Resistance to Collaborative Learning, Stover et al. (2018), International Journal for the Scholarship of Teaching and Learning - par Chloé DELACOUR

Il n’y a pas que le Premier Ordre qui soit confronté à la Résistance. Nombre d’enseignants doivent ainsi faire face à celle des étudiants lorsqu’ils mettent en place des activités d’apprentissage collaboratif pendant leurs cours.

Pourtant, la demande est forte de la part des apprenants de ne plus subir des heures interminables de cours sur un mode transmissif et de bénéficier d’un apprentissage renouvelé et contextualisé. Dans le milieu de la santé, le travail s’effectue en équipe, souvent pluridisciplinaire et pluriprofessionnelle. Il semble donc logique que les apprentissages se fassent également sur un mode collaboratif et actif, ce qui devrait de surcroît satisfaire les attentes des participants.

Ce constat n'est pourtant pas toujours celui dressé par les enseignants... et par les chercheurs en pédagogie, parmi lesquels Sheri Stover and Cindra Holland. Les deux auteures ont donc décidé de mener un travail de recherche auprès d’étudiants en sciences infirmières, dans le but d'identifier les sources de résistance.

Dans leur étude, une enseignante chevronnée et persuadée de la valeur pédagogique de l’apprentissage collaboratif a mis celui-ci en place dans son cours. Les chercheuses ont essayé de documenter la résistance des étudiants et leur insatisfaction grâce à plusieurs questionnaires, fondés notamment sur le passionnant modèle de Tolman et Kremling, qui décrit les composantes de la résistance étudiante comme relevant d'une association de forces provenant du développement cognitif et des capacités métacognitives de l’étudiant, de son environnement et de ses expériences antérieures négatives en cours.

Bien que l’étude comporte selon moi certaines limites - l’une d’elles étant qu’il est peut-être un peu rapide de parler de méthode mixte (je vous invite à relire à ce sujet la première lettre d'information de 2018 pour comprendre pourquoi c’est discutable) -, elle donne plusieurs pistes aux enseignants pour appréhender et dépasser ce qu’ils ressentent au quotidien en cours. Le travail met en particulier en évidence l'importance :

d’être transparent quant aux attentes de chaque activité collaborative et, de façon plus globale, du cours ;
de rendre explicite auprès des étudiants l’intérêt, d’un point de vue cognitif, du travail collaboratif ;
de créer un environnement favorable à la conduite des travaux collaboratifs.
La lecture de l’article de Tharayil et al. (« Les stratégies pour atténuer la résistance des étudiants aux pédagogies actives », paru dans l'International Journal of STEM Education) nous donne d’autres pistes et des stratégies pratiques, parmi lesquelles être vigilant à solliciter les étudiants non impliqués, utiliser des activités de niveau croissant de difficulté, ou encore développer une routine de travail.
 
Les deux articles soulignent enfin l’importance de prendre du temps pour préparer les activités collaboratives et d'anticiper la résistance des étudiants. Mais comme le soulignent Tharayil et al., il n’y a malheureusement pas de « recette universelle » pour faire fonctionner une activité collaborative et plusieurs cycles d’essais et d’erreurs sont souvent nécessaires pour réussir leur implantation.

Intégrer la normalisation et la contextualisation dans l'enseignement médical

Embracing standardisation and contextualisation in medical education, Bates et al. (2018), Medical Education - par Mathieu LORENZO

De quoi parle-t-on lorsqu’on évoque la contextualisation des formations des professionnels de santé ? Ce concept renvoie au caractère hautement spécifique de chaque lieu de formation, du parcours des étudiants, ou encore des situations cliniques rencontrées. Les apprentissages réalisés par un étudiant au cours de son cursus sont ainsi uniques et très variables d’un contexte à l’autre. 

Pourtant, les exigences sociétales envers les professionnels de santé requièrent de plus en plus de standardiser les cursus de formation, afin d’améliorer la qualité du système de santé et de répondre à la préoccupation grandissante liée aux erreurs médicales. Désormais, les professionnels de santé sont par exemple, dans la majorité des cursus, diplômés sur la base du développement de compétences. 

Comment concilier ces deux dimensions des formations des professionnels de santé ? C’est la réflexion passionnante que publie dans le journal Medical Education une équipe de chercheurs canadiens et néerlandais. Les auteurs appellent les responsables des cursus de formation des professionnels de santé basés sur les compétences à lier ces dernières au contexte clinique. Les compétences à développer sont ainsi vues comme des « cibles mouvantes ». L’idée est de documenter dans quels contextes les étudiants démontrent l’acquisition des compétences attendues et de vérifier que ces compétences s’expriment dans des contextes multiples et variés.

Cette évaluation contextualisée des compétences permet d'espérer que les apprenants pourront à l’avenir être compétents dans d’autres contextes que ceux étudiés en formation, et ainsi, répondre aux besoins de la société. 

Faire puis voir faire: séquencer l'apprentissage par la découverte et le guidage direct en simulation procédurale

Do One Then See One: Sequencing Discovery Learning and Direct Instruction for Simulation-Based Technical Skills Training, Kulasegaram et al. (2018), Academic Medicine - par Mathieu LORENZO

Réaliser une séquence de découverte sans guidage du superviseur avant une séance de simulation favorise potentiellement le transfert des apprentissages. C’est ce que semblent indiquer les résultats d’une étude réalisée par Kulasegaram et al., publié ce mois-ci dans la revue Academic Medicine.

Les auteurs ont comparé une séquence classique de simulation ("voir faire" puis "faire") à une séquence de découverte initiale ("faire" puis "voir faire") dans une situation visant l'apprentissage de la suture cutanée.

Si les deux groupes ont atteint un niveau similaire de performance et de rétention des connaissances à l’issue de la séquence de simulation, le groupe découverte à mieux réussi le test de transfert des apprentissages, qui consistait à réaliser un autre type de suture, plus compliqué).

Cette étude suggère ainsi de considérer la possibilité d’une séquence de découverte initiale comprenant un niveau de guidage minimal (à l'aide de consignes du type, "Vous devez poser un cathéter à ce mannequin") dans toute séquence de simulation visant à favoriser le transfert des apprentissages (ce qui est l'essence même de la simulation).

Douze conseils pour augmenter l'engagement des étudiants

Persistent influence of a narrative educational program on physician attitudes regarding patient care, Stojan et al. (2018), Medical Teacher - par Mathieu LORENZO

Comment favoriser l'engagement actif des étudiants au sein d’un cursus de formation des professionnels de santé ? C’est la question à laquelle a répondu une équipe de chercheurs issue de 12 universités réparties sur quatre continents, dans un récent article publié dans la revue Medical Teacher.

Douze conseils sont détaillés et étayés par les données de la littérature. Les auteurs insistent par exemple sur la nécessité de communiquer sur les résultats de l’engagement des étudiants au sein de l’institution : des étudiants ont participé aux décisions relatives à un enseignement ou à une évaluation ? Communiquez rapidement à l'ensemble des étudiants l’impact qu’a eu cette consultation sur les décisions prises !

Les auteurs recommandent aussi de développer l’enseignement par les pairs, ce qui a pour effets de maximiser les apprentissages des étudiants, de favoriser leur engagement au sein de l’institution, et de développer des compétences utiles pour leur pratique professionnelle future.

Influence durable d'un programme d'éducation narrative sur les attitudes des médecins vis-à-vis des soins aux patients

Persistent influence of a narrative educational program on physician attitudes regarding patient care, Stojan et al. (2018), Medical Teacher - par Mathieu LORENZO

Une prise de conscience profonde de l’aspect humain des soins permettant une pleine approche centrée sur le  patient est une composante reconnue de la compétence clinique des professionnels de santé. Une approche de type "médecine narrative" consiste à faire enseigner par un patient atteint d’une maladie chronique son expérience quant au fait de vivre avec une telle pathologie et de devoir se soigner.

La faculté de médecine de l’université du Michigan, aux Etats-Unis, a cherché à étudier l’impact à long terme d’un tel programme sur le regard que portent les médecins sur les soins. Au travers d’une analyse qualitative par théorisation ancrée réalisée à partir d’entretiens avec d’anciens étudiants, les auteurs ont dégagé quatre grands thèmes. Ce programme :

  • a grandement contribué à leur compréhension de la perspective du patient,
  • a impacté leurs attitudes de soins,
  • a influencé leurs choix de carrière,
  • et leur a permis un approche plus holistique.

Ces effets étaient observés en moyenne quatre ans après l'obtention de leur diplôme. De tels programmes peuvent ainsi contribuer à former de meilleurs soignants avec une approche humaniste des soins.

A phenomenological study of millennial students and traditional pedagogies  

Efficacité de diverses méthodes innovantes d'apprentissage en sciences de la santé : une méta-analyse, Toothaker et al. (2017), Journal of Professional Nursing - par Chloé DELACOUR

Rebecca Toothaker, "Registered Nurse Educator" (l’équivalent, en France, d’un cadre de santé formateur) et Donna Taliaferro, docteure en sciences infirmières, enseignante et chercheuse, ont réalisé une étude qualitative sur les "Millenals" (les personnes nées après 1982 et considérées comme des "digital natives") dans le domaine des sciences infirmières. Utilisant une méthode d’analyse phénoménologique, elles ont exploré le vécu de ces étudiants lorsqu’ils participent à des cours réalisés avec des méthodes pédagogiques dites traditionnelles.
Bien qu’effectuée aux Etats-Unis, cette étude nous interpelle forcément. Qui n’a pas un jour été confronté à un sentiment d’incompréhension face à une classe de jeunes étudiants déconnectés de nos propos et très connectés à leur voisin et à leur téléphone ? Dans une lettre récente, nous résumions à ce sujet une travail supervisé par le CFRPS et publié par Isabelle SEBRI, qui explorait l'usage ("inapproprié") que font les étudiants de leur téléphone en cours (Sebri et al., How do nursing students use digital tools during lectures? PloS One, 2016;11:11).

Toothaker et Taliaferro ont réalisé 13 interviews de millennials suivant des cours en sciences infirmières. Lors de l'analyse qualitative, elles ont mis en évidence cinq thèmes :
  • Présent physiquement, mentalement ailleurs
  • La pression silencieuse des pairs
  • Apprentissage passif / apprentissage de surface
  • En demande de plus d’efforts de la part des enseignants / "boudant" les enseignants
  • Le manque de confiance.  
Les millenials semblent donc en apparence être des étudiants respectueux des règles, puisqu’ils assistent aux cours. En revanche, ils n’adhèrent pas aux règles tacites de fonctionnement d’une classe et limitent leur participation, afin de ne pas être mal jugés par leurs pairs et risquer d’être exclus du groupe. De même et contrairement à des générations antérieures, ils ne reconnaissent pas l’expertise de l’enseignant comme inhérente à la fonction et remettent en cause l’ordre établi, refusant d’accorder leur confiance à des enseignants qu’ils estiment moins à même de les préparer que des formateurs de terrain. Ils se contentent donc de « jouer le jeu de l’enseignant », en apprenant par cœur pour réussir leurs examens, « simulant » une connaissance qu’ils préfèrent en réalité trouver sur Internet, une fois sur le terrain. 

Les caractéristiques et attentes des millenials rendent ainsi nécessaire de modifier la manière d’appréhender une classe. Il s'agit en particulier de mettre en oeuvre des pédagogies actives, reposant sur l'engagement de l’étudiant dans des travaux de groupes (apprentissage collaboratif et coopératif), le recours à des cas cliniques (apprentissage par problèmes), l’utilisation de boîtiers de vote, ou encore la valorisation de l'apprentissage expérientiel.

Le système éducatif doit donc évoluer, en s’appuyant sur les principes de l'éducation fondée sur les preuves ("Best Evidence Medical Education"). Les enseignants devront en outre intégrer l’importance, pour cette génération, des liens entre pairs, collègues et formateurs. Les auteurs de l'article nous rappellent enfin que les millenials ont grandi en étant considérés comme les « meilleurs des meilleurs », et qu’ils se retrouvent confrontés dans l’enseignement supérieur à un environnement qui ne les valorise pas de la sorte. Leur « soif d’appartenance » est un frein à leur implication en classe et représente donc un défi pour les enseignants, en santé comme ailleurs.

Effectiveness of various innovative learning methods in health science classrooms: a meta-analysis 

Efficacité de diverses méthodes innovantes d'apprentissage en sciences de la santé : une méta-analyse, Kalaian et al. (2017), Advances in Health Sciences Education - par Mathieu LORENZO

Diverses méthodes innovantes sont utilisées pour promouvoir la qualité des apprentissages des étudiants en sciences de la santé : apprentissage par problèmes, apprentissage collaboratif, apprentissage guidé par les pairs, apprentissage en équipe, etc. Ces modalités ont en commun de nécessiter de petits groupes d’étudiants et s’opposent aux méthodes traditionnelles, telles que le cours magistral. Ces méthodes sont-elles pour autant plus efficaces en termes d’apprentissage des étudiants ? 
C’est la question que ce sont posés Kalaian et al. dans une méta-analyse des données de la littérature publiée en janvier dans une grande revue d'éducation médicale.
En réponse, ces méthodes semblent améliorer la qualité des apprentissages des étudiants en sciences de la santé par rapport aux méthodes traditionnelles. Cet effet semble maximal avec des groupes de deux à quatre étudiants qui choisissent leur groupe (et donc, leurs collègues).

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Toward an optimal pedagogy for teamwork

Vers une approche pédagogique optimale pour le travail d'équipe, Mark et al. (2017), Academic Medicine - par Mathieu LORENZO
Le travail d’équipe est reconnu comme permettant de réduire les risques d’erreurs et d’assurer des soins de meilleure qualité. Pourtant, la méthode optimale pour entraîner les étudiants à travailler en équipe est incertaine.
Dans cet article, publié dans une grande revue d’éducation médicale, une équipe de l’université de Denver propose une classification des approches pédagogiques permettant de former au travail en équipe. Cette classification est basée sur deux éléments clés de cet apprentissage : le travail en interdépendance et l’entraînement explicite au travail en équipe. Selon la présence ou non de ces facteurs clés, trois niveaux pédagogiques sont identifiés :
  • Niveau 1 : apprentissage en équipe minimal
  • Niveau 2 : apprentissage en équipe implicite
  • Niveau 3 - apprentissage en équipe explicite
Cette classification permet de réfléchir à la manière d’implémenter un tel apprentissage du travail en équipe dans les formations initiales des professionnels de santé.
 

Improved learning outcomes after flipping a therapeutics module: results of a controlled trial 

L'amélioration des résultats d'apprentissage après avoir introduit la classe inversée dans un module de thérapeutique : résultats d'une étude contrôlée, Lochman et al. (2017), Academic Medicine - par Chloé DELACOUR
Lockman et al. ont réalisé une étude contrôlée afin d’évaluer l’impact d’un changement du mode d’enseignement d’un module de prise en charge de la douleur. En 2015, les étudiants de première année du cursus de doctorat de pharmacie ont participé au module sous sa forme classique, principalement constituée de cours magistraux. L’année d’après, la promotion suivante s’est vue proposer le module sous la forme d’une classe inversée, avec une réduction importante du nombre d’heures de cours magistraux (de 11 heures à deux heures) et la mise en place d’activités de groupe (d’une heure à 11 heures), soit en tout une heure de formation en plus et 341 diapositives de diaporama en moins.
Les deux promotions d’étudiants ont été évaluées de la même manière : une station d’ECOS (examen clinique objectif structuré) avec un patient standardisé, et 37 QCM (questions à choix multiples). L’ECOS devait permettre d’évaluer la performance clinique des étudiants et les QCM les connaissances acquises. Le score moyen à la station d’ECOS a augmenté de plus de 12 points entre la « promotion classique » et la « promotion inversée ». De la même manière, les notes des QCM ont été meilleures dans le groupe ayant bénéficié de la classe inversée.
Même si l’on peut critiquer le fait que l’évaluation ait été faite avec une seule station ECOS et seulement 37 QCM, les résultats de l’étude de Lockmann et al. sont concordants avec ceux d’études réalisées dans le domaine de la médecine et des sciences infirmières. Passer d’un paradigme d’enseignement à un paradigme d’apprentissage est bénéfique pour l’ensemble des étudiants en sciences de la santé qui doivent être préparés à leur future pratique professionnelle. 

Ingénierie de la formation, des compétences, des curriculums et pédagogique

Quand les mots des étudiants font mal : 12 conseils pour aider les enseignants à accepter et à répondre de manière constructive aux évaluations des enseignements par les étudiants

When students’ words hurt: 12 tips for helping faculty receive and respond constructively to student evaluations of teaching, Cornes et al. (2023), Medical Education Online -  par Elodie HERNANDEZ

  
L'évaluation est une tâche complexe, comme vous le savez. Elle guide les apprentissages et devrait également guider les enseignants dans leurs pratiques pédagogiques. C'est dans cette perspective que les étudiants sont de plus en plus sollicités pour évaluer les enseignements. Cette activité s'inscrit dans le cadre des démarches qualité mises en place par la plupart des institutions. Elle a pour but d'améliorer les pratiques des enseignants. Lorsqu'elle est mal conduite, elle peut toutefois provoquer des dégât et « blesser ».

Ce « twelve tips » a pour but de donner des lignes de conduite afin d'accompagner les institutions dans la mise en oeuvre constructive des évaluations des enseignements. Je vous en propose une synthèse dans les prochaines lignes.

L'échange entre l'objet de l'évaluation (les enseignements) et les évaluateurs (les étudiants) doit être compris comme un partenariat pour améliorer les missions éducatives, et non comme un jugement.

L'évaluation des enseignements comporte des biais qui menacent la validité de la démarche, notamment lorsqu'elle ne concerne que la satisfaction des étudiants. Elle est en outre multifactorielle. Elle ne devrait donc pas servir, de façon isolée, pour décider de nominations ou de promotions. 

Il faut se montrer prudent et ne pas surinterprètera les critiques formulées dans le cadre des évaluations qui prennent place au sein de nouveaux programmes. Pour autant, ces évaluations doivent être valorisées et anticipées, car elle sont indispensables pour améliorer le dispositif et permettre son succès. Il est donc important d'expliquer les raisons du changement et les améliorations souhaitées, d'impliquer les apprenants, de créer précocement du feedback quant au changement, et de laisser aux apprenants du temps pour s'adapter. Ce conseil mérite de notre part un intérêt particulier, au regard des nombreuses réformes qui ont marqué les études de santé au cours des derniers mois et des dernières années. 

L'un des défis relatifs aux feedbacks obtenus dans le cadre des évaluations des enseignements renvoie à la réaction émotionnelle de l'enseignant. Il est important que les responsables facultaires prennent en compte ces effets, notamment en adressant les retours d'évaluation à des moments et dans des lieux adéquats (il s'agit, par exemple, de ne pas les recevoir par mail le soir ou en fin de semaine). Il est aussi important que l'institution se penche sur les déclencheurs des réactions émotionnelles négatives (un déclencheur lié à un jugement discutable, un déclencheur relationnel ou un déclencheur qui fait echo à l'identité de la personne).

Dans l'analyse des données des évaluations, les institutions doivent prêter attention à l'ensemble , en ne négligeant surtout pas les commentaires positifs. 

Il est souhaitable d'examiner le contexte dans lequel les évaluations sont réalisées. Il est par exemple possible que l'enseignement évalué soit particulier aux yeux des étudiants ou qu'il ait été planifié à un moment inadéquat, source de mécontentement.

Les évaluations des enseignements par les étudiants sont une donnée parmi d'autres, qu'il convient de trianguler avec d'autres données afin de produire un jugement quant à la qualité de la formation offerte par l'institution (par exemple, les résultats aux examens, les feed-back entre pairs, les discussions informelles, les portfolios d'enseignants...). Cette triangulation a pour but d'encourager les enseignants à communiquer entre eux, au sein de l'institution, mais aussi avec des pairs d'autres milieux. 

Il est souhaitable de s'appuyer sur des groupes, des départements, ou encore des bureaux de représentants d'enseignants et d'étudiants, afin de favoriser la communication sur les apprentissages réalisés lors des évaluations, et de pouvoir agir en partenariat. L'implication d'étudiants dans ces instances favorise leur contribution aux réflexions inhérentes aux changements.

L’utilisation d’évaluations avec des questions clés (en anglais, « core questions ») qui reflètent l’importance que l'institution confère à certaines dimensions de l'enseignement est préconisée, afin de faciliter l’utilisation des données et leurs comparaisons. Ces questions doivent être pensées afin de ne pas concerner uniquement la satisfaction ou des caractéristiques personnelles liées à l’enseignant. Le caractère anonyme des évaluations majore la validé des réponses. L'absence d'anonymat conduit à une surcotation et rend le feedback moins constructif. 

Il est de la responsabilité de l’institution de développer les habiletés évaluatives des étudiants, en leur expliquant comment répondre de façon utile aux questionnaires, et en valorisant l'intérêt de la démarche dans une perspective d’amélioration, dans la durée, des pratiques pédagogiques. Certaines institutions encouragent la constitution de groupes de pairs afin d'aider les étudiants peu habitués à l'outil à formuler des commentaires constructifs. D’autres créent des cohortes d’étudiants évaluateurs, qui sont les seules à évaluer. Des institutions ont enfin choisi d’abandonner les évaluations anonymes et de recueillir des témoignages directement auprès des étudiants.

Les institutions doivent pouvoir répondre de façon constructive au feedback, en trouvant des ressources pour s’améliorer. Une attention particulière doit être portée à l'objectif de ne pas créer une culture punitive liée aux évaluations négatives.

En somme, il est important que les évaluations des enseignements par les étudiants, qui peuvent blesser les enseignants, soient construites, réfléchies et soutenues par les institutions, de façon à être utiles à toutes les parties prenantes. Elles n’ont pas pour vocation à être des « avis Google » qui favorisent la décharge émotionnelle des étudiants. Et il est crucial de garder en tête qu’une bonne évaluation est une évaluation qui multiplie les sources.

Le rôle des cursus basés sur l'art dans le développement de l’identité professionnelle : résultats d’une analyse qualitative des réflexions écrites des apprenants

The role of arts-based curricula in professional identity formation: results of a qualitative analysis of learner’s written reflections, Aluri et al. (2023), Medical Education Online - par Élodie HERNANDEZ


À l’approche des fêtes de Noël, nous apprécions tous de rester chez nous avec une boisson chaude et un bon livre. L’article récemment publié dans Medical Education Online propose une analyse de la réflexion d’étudiants de 4e année de médecine sur leur identité professionnelle après avoir suivi une formation en ligne d’une semaine sur les arts visuels, qui associait une partie synchrone sur le sujet, des travaux de groupe, des tâches rédactionnelles réflexives personnelles et de la méditation.

Des questions leur ont été soumises à la fin du premier et du cinquième jour de cours. Elles exploraient des éléments liés à l’identité professionnelle : qu’est-ce que signifie pour vous être médecin ? À quoi ressemble une « belle vie » pour vous-même et pour vos futurs patients ? Qu’est-ce que signifie être humain, être médecin et/ou mener une belle vie ?

Les thèmes qui ont émergé lors de l'analyse des réponses sont : la nature d’une « belle vie », endosser le rôle de médecin, l’exploration de l’expérience émotionnelle, un travail épanouissant et avec du sens, et l’épanouissement personnel.

La « belle vie » était appréhendée de façon variable d’une personne à l’autre, sans différence fondamentale entre un médecin et ses patients. « Bonheur, paix et équilibre » étaient par exemple cités par l’un des étudiants. Les participants ont souligné que des pratiques comme la poésie, la philosophie, les traditions religieuses, la pleine conscience, la nature et le travail de l’art pouvaient constituer des composantes importantes d’une « belle vie ». Ils ont mis en avant l’influence de facteurs externes liés à la sécurité matérielle et de dispositions internes parmi lesquelles la curiosité, la gratitude, la paix, le confort. Des relations sociales de qualité ont également été prônées.

Les étudiants inclus dans l'étude souhaitaient s’impliquer dans des pratiques professionnelles futures qui ont du sens, en prenant soin des autres, en promouvant la santé, et en contribuant au fonctionnement de leur communauté. Ces pratiques futures pleines de sens étaient teintées de doute pour certains, qui s’interrogeaient sur la façon d’endosser leur futur rôle de praticien tout en conjuguant ces objectifs de sens et de carrière.

La formation dont ils ont bénéficié a aussi permis à certains d’explorer leurs expériences émotionnelles, en décrivant par exemple une situation de dépression, ou, pour d’autres, en s’interrogeant sur le sens du bonheur en lien avec les différentes relations de l’entourage, du travail et de la « belle vie ». Ils décrivaient un processus leur ayant permis de « grandir » en demandant de l’aide pour s’accepter eux-mêmes.

L’épanouissement personnel était en lien avec la reconnaissance de ses propres faiblesses, ainsi que le désir de s’épanouir et de trouver des méthodes pour changer.

Ces différents facteurs relatifs à l’épanouissement personnel, à l’endossement du rôle de médecin et à la réalisation d’un travail épanouissant constituent des éléments clés de la formation à l’identité professionnelle. Pour développer cette identité sont en effet évoquées les notions d’introspection, d’attention à ses émotions, d’auto-évaluation et d’observation du rôle de transition, ce qui apparaissait dans les précédents thèmes.

Cette étude montre qu’un cours sur les arts associé à des tâches réflexives de la part d'étudiants en médecine permet de favoriser le développement de l’identité professionnelle. Les auteurs étaient étonnés par le fait que l’activité conduisait certains étudiants à se livrer sur leur vulnérabilité personnelle (par exemple, des antécédents de dépression). Ce que je retiens de cet article est que l’ouverture d’esprit amenée lors de ce cursus de 40 heures permet de s’interroger sur notre profession, sur notre « soi » et sur nos vulnérabilités.

Alors, peut-être est-il temps, en cette fin d’année, que je vous souhaite « bonheur, paix et équilibre » avec un bon livre ou une exposition à aller partager en famille…

Et pour ceux qui seront curieux du contenu du cours, c'est par ici : https://mededu.jmir.org/2021/3/e27923/

Aller au-delà de la couche de vernis superficielle : comment la culture organisationnelle influence-t-elle les réformes curriculaires ?

Scratching beneath the surface: how organisational culture influences curricular reform. Shah et al. (2022), Medical Education - par Racha ONAISI

Plus de 7000 km nous séparent des Etats-Unis de Sklar, l'auteur de l'article discuté ici. Deux systèmes de santé différents, deux systèmes universitaires différents. Et pourtant, une même onde de choc a fait vaciller l’un comme l’autre, de part et d’autre de l’Atlantique, mettant en lumière leurs limites et leurs faiblesses.

Il y a eu, dans le passé, d’autres crises en lien avec l’émergence d’un nouvel agent pathogène. Pour ne citer qu’elle, l’épidémie de VIH, dans les années quatre-vingt, a été un tournant majeur dans la construction professionnelle des étudiants de l’époque. Malgré tout, peut-être en lien avec un enthousiasme limité, dans le temps, de la part des financeurs (les retours sur investissement étant tardifs lorsqu’il s’agit de préparer une potentielle pandémie à germe émergent), nous avons fait face à un sentiment déjà vu de peur, d’impréparation et de grande solitude quant à la conduite à tenir.

Face à ce nouveau virus, beaucoup d’informations - mais aussi de désinformations - ont circulé, et la frontière entre opinion personnelle et evidence-based medicine a trop souvent été brouillée. Comme dans beaucoup de crises, ce sont les populations les plus vulnérables sur le plan médical, mais aussi social, qui ont été le plus durement impactées, même si, pour ce dernier point, notre système de santé permet plus de soutien que le système étasunien. Comme souvent, le terrain a été porteur et salvateur : soignants, étudiants, enseignants et formateurs ont fait la preuve de leur engagement, de leur adaptabilité et de leur inventivité au regard du contexte sanitaire.

Toutefois, bien qu’attestant de leur professionnalisme, l’engagement massif de nos étudiants aux côtés des soignants déjà en exercice s’est parfois fait au détriment de leur sécurité sanitaire (manque d’équipements de protection) et psychique, et de leur formation (la saturation des capacités de soins rendant moins disponibles les superviseurs, et ayant pu retarder l’adaptation de l’enseignement au confinement). Les professionnels eux-mêmes ont fait face à certaines de ces difficultés face au dépassement du système de soins et aux décisions éthiquement difficiles qu'ils ont parfois dû prendre. Des leçons doivent être tirées pour que, lors de la prochaine crise sanitaire d’ampleur, les étudiants d’aujourd’hui et de demain soient mieux préparés que nous l’étions face au SARS-CoV-2. Et c’est à nous, enseignants et formateurs, d’en faire une priorité. Il s’agit ainsi d’assumer la responsabilité sociale des facultés et écoles de santé.

Le modèle biomédical dominant les formations en santé, héritage flexnérien plus prégnant encore en France qu’outre-Atlantique, montre dans ce contexte ses limites. Les maladies émergentes nous rappellent l’indispensable humilité dont nous devons faire preuve quant à l’étendue de notre savoir. La préparation des futurs professionnels de santé, outre les connaissances biomédicales nécessaires, doit mettre l’accent sur les facteurs sociaux, comportementaux et environnementaux qui influent sur la santé. Les compétences en prévention, en gestion de crise et en approche globale et populationnelle de santé doivent faire partie du bagage avec lequel les étudiants quittent les bancs de l’université. Leur esprit critique doit être aiguisé. Pour citer Sklar, si le modèle biomédical a peut-être fabriqué des cliniciens-scientifiques qui créeront un vaccin contre le COVID-19, il ne produira pas les forces vives qui préviendront la prochaine pandémie, ou créeront et soutiendront le système de santé afin d'y faire face efficacement. L’un ne peut aller sans l’autre.

Outre le contenu, cette crise est l’occasion de nous questionner sur nos pratiques et méthodes de formation, pour choisir les innovations et adaptations à garder, et celles à mettre de côté.

Enfin, Sklar conclut sur un message politique, en lien avec le contexte particulier des Etats-Unis : les maladies se moquent des murs et des frontières. Nous ne pouvons que partager et appuyer son message promouvant la collaboration entre professionnels, la coopération scientifique et l’ouverture d’esprit nécessaires pour apprendre de l’Autre.

L'expérience d’étudiants en première année de médecine lors d'un séminaire sur les habiletés cliniques axé sur la complexité des minorités sexuelles et de genre 

First year medical student experiences with a clinical skills seminar emphasizing sexual and gender minority population complexity. Biro et al. (2020), Canadian Medical Education Journal - par Elodie HERNANDEZ

Cet article porte sur l’évaluation d’un séminaire sur les habiletés cliniques en présence de minorités sexuelles et de genre. Suite à un manque perçu par les étudiants, notamment issus des communautés LGBT, quant à leur formation sur la santé sexuelle, un séminaire thématique a été mis en place à l’université de Toronto. A Toronto, les étudiants de première année de médecine bénéficient de séminaires sur les habiletés communicationnelles. Le thème relatif aux minorités sexuelles et de genre s’est inscrit dans le cadre de ces séminaires. Il a réuni 259 étudiants et 45 enseignants/tuteurs. D'une durée de quatre heures, il a consisté à faire travailler les étudiants en groupes tutorés de six. Durant ces quatre heures, plusieurs cas cliniques étaient présentés et les étudiants pouvaient interroger deux patients standardisés. Les tuteurs, de leur côté, bénéficiaient d’un guide de réponses avec des conseils pédagogiques. 
Les auteurs ont réalisé une étude qualitative par focus groups. Cinq focus groups, regroupant trente-cinq participants, ont été menés jusqu'à saturation des données. L’analyse qualitative a permis d'identifier deux thèmes : les préjugés sur les minorités sexuelles et de genre (traduction littérale : « biais sur les minorités ») et la capacité à s’adapter en clinique (traduction littérale : « expertise adaptative en habiletés cliniques »).
Les auteurs ont montré que l’authenticité des situations était primordiale. Les étudiants ont notamment valorisé les attitudes des enseignants qui exprimaient leurs doutes, leur incertitude et leur méconnaissance du sujet, ainsi que ceux qu’ils ont considérés comme experts grâce à leur expérience personnelle ou professionnelle. Concernant la complexité des cas cliniques, les étudiants estimaient qu’elle était liée à l’authenticité et que simplifier les cas ne serait pas utile, voire néfaste, car ils pourraient se retrouver en échec dans la vie réelle. Ils notaient cependant l’importance du soutien de leur tuteur pour gérer cette complexité. Les auteurs s’appuient sur la théorie de la charge cognitive pour soutenir cette complexité assumée, même pour des étudiants de première année : favoriser les échanges entre pairs, le soutien du tuteur, engager la discussion, alterner les cas plus ou moins complexes de façon réfléchie, afin de diminuer la charge cognitive, tout en maintenant l’authenticité.
Cet article permet de mettre en valeur plusieurs éléments intéressants :
  • La mise en place d’un enseignement à la demande des étudiants, qui dénonçaient un manque de formation sur ce thème. Nous sommes face à un séminaire construit dans le cadre d'une étude des besoins.
  • L’évaluation de ce séminaire grâce à une étude qualitative par focus groups, qui permet de montrer que même en l'absence de chiffres, nous pouvons tirer des leçons intéressantes d'une démarche de recherche évaluative basée sur une approche qualitative.
  • Une évaluation qui soutient l’apprentissage du raisonnement clinique, de la complexité, de l’incertitude et une construction de séminaire qui s’appuie sur la théorie de la charge cognitive : voici une belle association de concepts pédagogiques ! 

Trêve de plaisanterie - quoique - voici les raisons du choix personnel de cet article. J’ai décidé d’aborder ce sujet, car il y a quelques semaines, j’ai été marquée par une lecture de « thread » sur Instagram, rédigé par Baptiste Beaulieu (un médecin généraliste/auteur/poète que je vous encourage à suivre) qui expliquait pourquoi, à ce jour, des listes informelles de médecins « communautaires » existent. Sur son compte, il est souvent question de la communauté LGBTQI. Ce thread m’a aussi interrogée sur ma façon d’examiner des patients qui sont « différents [?] » de moi. Enfin, je me suis retrouvée face à un de mes deux patients transgenres cette semaine, ce qui m’a renvoyé face aux erreurs que j'avais commises au départ (Monsieur ? Madame ? Jeannine ? Georges ? Prescrire à Jeannine quand l’identité n’est pas officielle alors qu’on parle à Georges…). Quid du leitmotiv en pédagogie « Jamais la première fois sur le patient » ? Bref, en France, quand on parle de communauté, les réactions sont souvent spontanément négatives. La question d'aborder le sujet en formation mérite cependant d'être posée, et cet article apporte des aiguillages utiles en brisant le tabou d’un sujet très spécifique, traité par les auteurs dès la première année de médecine.

Quelles sont les leçons à tirer de la crise sanitaire pour améliorer la formation des professionnels de santé ?

Lessons from the disaster that can improve health professions education. Sklar (2020), Academic Medicine - par Racha ONAISI

Plus de 7000 km nous séparent des Etats-Unis de Sklar, l'auteur de l'article discuté ici. Deux systèmes de santé différents, deux systèmes universitaires différents. Et pourtant, une même onde de choc a fait vaciller l’un comme l’autre, de part et d’autre de l’Atlantique, mettant en lumière leurs limites et leurs faiblesses.

Il y a eu, dans le passé, d’autres crises en lien avec l’émergence d’un nouvel agent pathogène. Pour ne citer qu’elle, l’épidémie de VIH, dans les années quatre-vingt, a été un tournant majeur dans la construction professionnelle des étudiants de l’époque. Malgré tout, peut-être en lien avec un enthousiasme limité, dans le temps, de la part des financeurs (les retours sur investissement étant tardifs lorsqu’il s’agit de préparer une potentielle pandémie à germe émergent), nous avons fait face à un sentiment déjà vu de peur, d’impréparation et de grande solitude quant à la conduite à tenir.

Face à ce nouveau virus, beaucoup d’informations - mais aussi de désinformations - ont circulé, et la frontière entre opinion personnelle et evidence-based medicine a trop souvent été brouillée. Comme dans beaucoup de crises, ce sont les populations les plus vulnérables sur le plan médical, mais aussi social, qui ont été le plus durement impactées, même si, pour ce dernier point, notre système de santé permet plus de soutien que le système étasunien. Comme souvent, le terrain a été porteur et salvateur : soignants, étudiants, enseignants et formateurs ont fait la preuve de leur engagement, de leur adaptabilité et de leur inventivité au regard du contexte sanitaire.

Toutefois, bien qu’attestant de leur professionnalisme, l’engagement massif de nos étudiants aux côtés des soignants déjà en exercice s’est parfois fait au détriment de leur sécurité sanitaire (manque d’équipements de protection) et psychique, et de leur formation (la saturation des capacités de soins rendant moins disponibles les superviseurs, et ayant pu retarder l’adaptation de l’enseignement au confinement). Les professionnels eux-mêmes ont fait face à certaines de ces difficultés face au dépassement du système de soins et aux décisions éthiquement difficiles qu'ils ont parfois dû prendre. Des leçons doivent être tirées pour que, lors de la prochaine crise sanitaire d’ampleur, les étudiants d’aujourd’hui et de demain soient mieux préparés que nous l’étions face au SARS-CoV-2. Et c’est à nous, enseignants et formateurs, d’en faire une priorité. Il s’agit ainsi d’assumer la responsabilité sociale des facultés et écoles de santé.

Le modèle biomédical dominant les formations en santé, héritage flexnérien plus prégnant encore en France qu’outre-Atlantique, montre dans ce contexte ses limites. Les maladies émergentes nous rappellent l’indispensable humilité dont nous devons faire preuve quant à l’étendue de notre savoir. La préparation des futurs professionnels de santé, outre les connaissances biomédicales nécessaires, doit mettre l’accent sur les facteurs sociaux, comportementaux et environnementaux qui influent sur la santé. Les compétences en prévention, en gestion de crise et en approche globale et populationnelle de santé doivent faire partie du bagage avec lequel les étudiants quittent les bancs de l’université. Leur esprit critique doit être aiguisé. Pour citer Sklar, si le modèle biomédical a peut-être fabriqué des cliniciens-scientifiques qui créeront un vaccin contre le COVID-19, il ne produira pas les forces vives qui préviendront la prochaine pandémie, ou créeront et soutiendront le système de santé afin d'y faire face efficacement. L’un ne peut aller sans l’autre.

Outre le contenu, cette crise est l’occasion de nous questionner sur nos pratiques et méthodes de formation, pour choisir les innovations et adaptations à garder, et celles à mettre de côté.

Enfin, Sklar conclut sur un message politique, en lien avec le contexte particulier des Etats-Unis : les maladies se moquent des murs et des frontières. Nous ne pouvons que partager et appuyer son message promouvant la collaboration entre professionnels, la coopération scientifique et l’ouverture d’esprit nécessaires pour apprendre de l’Autre.

Gérer les tensions : de l’innovation à son application dans les formations en santé

Managing the tension: From innovation to application in health professions education. Tekian et al. (2019), Medical Teacher - par Racha ONAISI

À l’heure où les réformes des cursus en santé semblent s’enchaîner les unes après les autres, ces dernières sont parfois (souvent ?) accueillies avec circonspection, voire méfiance. « Nous avons été formés de telle ou telle manière et ça a marché, nous ne sommes pas de mauvais professionnels. Pourquoi changer une recette séculaire ? ».

Pourtant, 5 à 15% des étudiants en médecine présentent des difficultés de raisonnement clinique. Nous pouvons nous accorder sur le fait qu'il s'agit là d'un problème non négligeable. Les formations en santé doivent en outre faire face à d’autres défis, de types et de niveaux de difficulté variés, parmi lesquels la gestion d’effectifs croissants d’étudiants, des chiffres inquiétants concernant les troubles psychosociaux parmi les étudiants, ou encore des évolutions permanentes du monde de la santé et de la société qui nécessitent une adaptation tout aussi permanente de la formation.

Or, comme le rappellent Tekian et son équipe, les innovations sont primordiales pour résoudre les problèmes. Elles peuvent concerner le curriculum, les méthodes pédagogiques mises en œuvre, les pratiques évaluatives, les processus d’accréditation des facultés, ou encore le développement professionnel des formateurs.

Pourtant, leur mise en œuvre sur le terrain est rarement un long fleuve tranquille. Tekian et ses collègues proposent dans leur article des pistes pour faire face aux éventuelles tensions qui peuvent être rencontrées, selon le domaine concerné par les innovations. Certaines propositions vous paraîtront probablement relever du bon sens. Pour autant, il n’est pas inutile de les rappeler et de les garder en tête : implication de l’ensemble des acteurs concernés, discussions répétées, transparence, prise en compte du contexte spécifique et de l’environnement (notamment des ressources humaines et matérielles disponibles), tout comme de l’efficience (rapport investissement/résultats attendus).

D’autres, et non des moindres, viennent peut-être moins spontanément à l’esprit. Ainsi, Tekian et al. rappellent l’importance, pour toute innovation (notamment lorsqu'elle concerne les pratiques d’enseignement et d’évaluation), de s'appuyer sur des cadres conceptuels clairs et sur les données de la littérature scientifique. Tout comme la médecine a évolué de l’empirisme vers l’EBM (Evidence-Based Medicine ou médecine basée sur les preuves), l’éducation médicale doit prendre le virage de la Best Evidence Medical Education (BEME). « Pourquoi changer une recette séculaire ? » : pour résoudre les problèmes éducationnels comme on résout les problèmes médicaux, en se posant les bonnes questions et en se basant sur les meilleures preuves à disposition, pardi !

En respectant ce principe et à l’aide des pistes proposées dans cet article, il devrait être possible de faire progresser la formation des étudiants en santé (et donc, de mieux répondre à la responsabilité sociale des facultés) de façon rigoureusement réfléchie et, surtout, plus sereine.

Participation des patients/usagers à l'enseignement : une revue systématique BEME

Patient/service user involvement in medical education: A best evidence medical education (BEME) systematic review: BEME Guide No. 58. Gordon et al. (2019), Medical Teacher - par Mathieu LORENZO

A quoi cela sert-il d’intégrer des patients dans la formation médicale ? C’est pour répondre à cette question qu’une équipe anglaise a réalisé une revue systématique de la littérature dans le cadre de l'élaboration d'un guide sur les meilleures pratiques en éducation médicale.

Ce travail a permis de mettre en évidence que de nombreux articles publiés ces dernières années ont démontré que l'intégration de patients, de la conception des enseignements à l’évaluation des apprentissages des étudiants, est tout à fait faisable.

Le résultat le plus intéressant est qu’intégrer des patients semble favoriser le développement de l’empathie chez les étudiants et promouvoir une approche centrée sur le patient, ainsi que des soins holistiques (tenant compte de la globalité de la situation : le patient, son milieu de vie, le contexte, etc.).

Malgré ces preuves d’efficacité, l’utilisation de patients dans les curriculums semble n'avoir que peu progressé ces dernières années dans les formations en santé. Gageons que de telles revues systématiques de la littérature aideront les décideurs institutionnels à s’engager davantage dans cette voie pour former les professionnels au regard des attentes actuelles de la société.

La mise à disposition de cookies pendant un cours impacte son évaluation par les étudiants

Availability of cookies during an academic course session affects evaluation of teaching. Hessler et al. (2018), Medical Teacher - par Elodie HERNANDEZ

C'est l'automne, et le titre de cet article appelait à réfléchir et à se remettre aux fourneaux. Du chocolat et de la pédagogie... des passions que je ne pensais pas réunir dans un article de Medical Education ! Voilà donc le pitch : une équipe allemande a réalisé une étude comparant l'évaluation d'un cours pendant lequel il y avait ou non du chocolat à disposition des étudiants. 
Cent dix-huit étudiants ont dû évaluer un cours et l'enseignant l'ayant réalisé. Le cours avait pour thème le syndrome coronarien aigu. Il s'agissait d'une discussion basée sur des cas cliniques. Les étudiants ont été répartis en 20 groupes. Dix cours étaient donnés par l'enseignant A et 10 cours par l'enseignant B. Chaque enseignant a donné cinq cours avec biscuits et cinq cours sans biscuits. Les biscuits apportés étaient des cookies au chocolat. Ce choix n'a pas été réalisé au hasard et reposait sur des données liées à l'EBM. Le pouvoir du chocolat sur le moral ainsi que ses effets analgésiques et de diminution de l'anxiété sont en effet bien connus.
Résultat : les évaluations du groupe "cookies" étaient significativement meilleures que le groupe "sans cookies", concernant à la fois le cours et l'enseignant. Une analyse multivariée a permis de mettre en évidence que seule la mise à disposition de chocolat permettait d'expliquer les différences. 
Les étudiants notent donc mieux un cours dans lequel ils ont pu manger du chocolat ! N'importe quel amateur de chocolat aurait pu s'en douter... mais pourquoi essayer d'objectiver cela par un travail de recherche publié dans la revue d’éducation médicale la plus cotée ? Les auteurs discutent dans cet article des évaluations réalisées par les étudiants et du pouvoir institutionnel lié aux évaluations. L'habitude a été prise - et c'est une bonne chose - de prendre en compte l'avis des apprenants pour juger de la qualité d'un cours. De multiples recherches - auxquelles cette étude vient apporter une nouvelle contribution - ont cependant montré que les évaluations des étudiants sont influencées par de nombreux facteurs indépendants de la qualité du cours, parmi lesquelles les notes obtenues aux examens, le contenu du cours, le sexe de l'enseignant (un enseignant du même sexe est mieux évalué), ou encore, son caractère "sexy".
Évidemment des biais peuvent être retrouvés : les enseignants de ce cours ont pu adapter les temps de pause ou d'autres comportements, de façon consciente ou non, en lien avec la présence des cookies. Cet article soulève néanmoins la question de la pertinence des évaluations des enseignements et des enseignants, qui devraient, comme toute évaluation, reposer sur plusieurs sources, afin d'être considérées comme valides.  La parole des étudiants doit évidemment être entendue, mais elle ne doit pas constituer la seule voie d'évaluation, au regard des enjeux institutionnels et individuels majeurs associés à cette évaluation (recrutement de personnel, licenciement, distribution de fonds financiers, etc.). 
Un autre point de discussion, non évoqué par les auteurs, me taraude... Cet article montre bien à quel point, nous (étudiants, enseignants, êtres humains) sommes faillibles face à un "cadeau", même anodin. Et par là, je pense à l'indépendance de nos enseignements, de nos formations et de notre pratique. Après cette lecture, on peut juger opportun le fait d'aller faire des cookies pour que nos étudiants apprécient un cours difficile, tout en sachant par là même que l'on "achète" en quelque sorte leurs évaluations positives...

Quand les patients nous blessent

When patients hurt us. Cyrus et al. (2018), Medical Teacher - par Elodie HERNANDEZ

Cet article de Medical Teacher est une réflexion étayée d’une revue de cas concernant un sujet peu abordé dans la littérature : quand les patients nous blessent.
Nous sommes tous des professionnels de santé qui prenons ou avons pris en soin des patients. Nous sommes également des professionnels de l’éducation, à travers nos activités de supervision en stage, et/ou dans nos milieux académiques respectifs. Nous prônons une approche centrée sur le patient auprès de nos étudiants. Nous avons tous de belles histoires à raconter concernant nos patients (lors d’une annonce difficile bien gérée, où le patient s'est montré très reconnaissant, lorsque nous apportons notre soutien à une famille, etc.)… mais, nous avons également tous des histoires qui nous retournent l’estomac, à propos de patients agressifs, voire violents, de gestes déplacés, ou de réflexions concernant notre genre, notre ethnie ou notre orientation sexuelle.
Ces histoires sont racontées à nos pairs autour d’un café... ou ne le sont jamais, et nous « faisons avec ». J’ai décidé en janvier que ma prochaine synthèse d’article porterait sur ce sujet. Je venais alors de vivre une expérience difficile avec un patient. 
Les mots ou les attitudes blessantes d’un patient sont souvent intégrés par le soignant comme un symptôme, une façon de réagir à une souffrance vécue par le patient. Pourtant, dans les cursus de formation des étudiants, nous traquons les harcèlements des superviseurs, les comportements inappropriés des équipes, mais jamais ceux des patients, alors que la maltraitance reste la même. La maltraitance est en effet définie par l’association des facultés de médecine américaine comme « tout comportement, intentionnel ou non, qui manque de respect pour la dignité de l’autre et qui interfère de façon déraisonnable avec le processus d’apprentissage ».
Les auteurs de l'article discuté ici ont réalisé une revue rétrospective des rapports des étudiants, dans leurs services, décrivant des maltraitances de la part des patients. Les faits rapportés concernaient des cas de harcèlement sexuel, de contacts inappropriés, de stéréotypes ethniques, ou encore d'agressions verbales ou physiques. Un cas rapportait aussi que les superviseurs pouvaient réutiliser et perpétrer ces remarques comme des railleries envers l'étudiant.
Lutter contre ces agressions est un véritable défi. Une des pistes données par les auteurs est de reconnaître et nommer cette maltraitance quand elle a lieu en notre présence ou qu’elle nous est racontée. Une étude de Withgob et al. (2016, Academic Medicine) va plus loin et donne d’autres pistes. Il s'agit en particulier d'informer sur le risque de maltraitance et d'orienter le plus tôt possible pour donner les moyens de chercher de l’aide. Les auteurs citent aussi l’utilisation de patients simulés pour générer des échanges autour de ce thème et chercher des moyens de réponses. Ils préconisent enfin des débriefings réguliers d’équipe et l'adoption, par les étudiants ou les soignants concernés, d'une posture réflexive en lien avec la situation vécue. 
Cet article fait réfléchir. A l’heure où la bienveillance dans les cursus est prônée et où elle fait partie intégrante de certaines approches pédagogiques, la violence des patients et de la réalité de la pratique clinique surgit de manière parfois inattendue. En tant que professionnels de l'éducation, nous devons rester vigilants pour préserver les apprentissages de nos étudiants. Et en tant que professionnels de santé, nous devons rester vigilants pour nous préserver.

L'amélioration de la sélection des internes nécessite une étude approfondie et une meilleure compréhension des besoins des parties prenantes

Improving Residency Selection Requires Close Study and Better Understanding of Stakeholder Needs. Katsufrakis et al. (2018), Academic Medicine - par Elodie HERNANDEZ

Améliorer la sélection à l'internat requiert une étude minutieuse et une meilleure compréhension des besoins des parties prenantes… Ce titre semble à la première lecture peu engageant, et à la seconde relever d'un poncif. Publié dans la revue Academic Medicine, il s’intéresse à la sélection des internes (les "résidents") aux Etats-Unis. Au moment où nos décideurs réfléchissent au mode de sélection des internes, dans le cadre de la réforme du deuxième cycle, cet article prend cependant tout son sens.

Plantons le décor : aux Etats-Unis, les candidats à l'internat sont très nombreux, proviennent d'institutions très différentes et postulent dans de multiples universités et spécialités. Les institutions sont donc confrontées à des centaines de candidatures à étudier. Dans ce contexte, les « parties prenantes » cherchent un moyen fiable pour évaluer ces candidatures. Les scores issus d’examens nationaux, standardisés et de haute qualité sont utiles dans cette perspective. Ils s'agit notamment de ceux obtenus par les étudiants à l’étape 1 de l’USMLE. L’USMLE ("United State Medical Licensing Examination") est un programme d’évaluation des connaissances et des compétences organisé en trois étapes et destiné à tous les étudiants en médecine américains.

Cette étape 1 cible donc de façon intéressante l'évaluation des compétences, y compris relationnelles et de professionnalisme. Le score obtenu par les étudiants est largement utilisé par les universités pour sélectionner les futurs internes, car il est corrélé à la réussite à d’autres examens. Il existerait même un lien indirect entre ce score et la capacité de l’étudiant à gérer sa prévention primaire des maladies aiguës et chroniques, voire à éviter les mesures disciplinaires.

Passons les détails sur la compétitivité des candidatures et des universités, et insistons sur l’aspect pédagogique de la sélection décrite dans cet article. L'étape 1 de l’USMLE est cruciale, puisque son score est discriminant pour la sélection des internes. Les étudiants bachotent donc énormément pour préparer cet examen, ce qui entraîne un stress important. La question de ne plus mettre de note et de sanctionner cette étape uniquement sur le mode "réussite/échec" permettrait de diminuer ce stress. A l'opposé, ce choix pourrait conduire les étudiants à réduire le temps de préparation de cet examen.

Des propositions sont formulées par les auteurs de l'article pour faire évoluer le mode de sélection des futurs internes. Nous pouvons retenir plusieurs éléments susceptibles d'alimenter la réflexion actuellement conduite  en France dans le cadre de la réforme du deuxième cycle. Ainsi, au même titre que la valeur d'un marqueur biologique, qui doit être mise en lien avec le cas précis du patient, ces scores doivent impérativement être liés à l'ensemble du dossier et du parcours du candidat. De plus, une façon unique d’évaluer n’est pas suffisante et les auteurs proposent de combiner plusieurs évaluations et scores. Enfin, la démarche mise en place par les auteurs - qui consistait notamment à interroger les besoins des responsables et à les mettre en lien avec la valeur pédagogique de la sélection pour les étudiants - témoigne de l'intérêt de prendre en compte le bien-être des étudiants et de proposer une sélection la plus juste possible.

Cette perspective confronte les décideurs à d'importants défis, au regard de sa complexité et du très délicat équilibre qu'il convient de trouver afin de concilier les différents enjeux liés à la sélection des futurs internes.

Compétences en résolution de problèmes vs acquisition de connaissances : le conflit historique qui a divisé l'apprentissage par problèmes en deux camps

Problem solving skills versus knowledge acquisition: the historical dispute that split problem?based learning into two camps. Servant-Miklos (2018), Advances in Health Sciences Education - par Mathieu LORENZO 

Les universités de Maastricht (Pays-Bas) et de McMaster (Canada) sont considérées comme des pionnières dans la création des cursus de médecine basés sur l’apprentissage par problèmes. Pourtant, il existait d’importantes divergences dans les objectifs de ces programmes jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix.

Pourquoi ces différences ? C’est l’histoire que nous raconte Virginie Servant-Miklos, de l’Université d’Aalborg (Danemark), dans un passionnant article historique sur le sujet. L’auteure nous expose, à partir d’une riche recherche documentaire et au travers d’interviews des protagonistes, comment deux grandes figures de l’éducation médicale (Howard Barrows et Henk Schmidt) ont été au cœur d’une démarche d'argumentation scientifique à partir des années soixante-dix, qui a massivement influencé  les cursus actuels de formation des professionnels de santé. 

Un article différent des publications habituelles des revues d’éducation médicale, qui invite à une réflexion sur les fondements de nos formations. 

Apprendre par la pratique : une valorisation du contexte dans une formation médicale de durée variable

Learning in practice: a valuation of context in time-variable medical training. Teunissen et al (2018), Academic Medicine - par Chloé DELACOUR

Et si la suite logique d’une formation fondée sur l’apprentissage par compétences était une formation à temps d’apprentissage variable ? C’est à cette réflexion que nous invite Academic Medecine dans son supplément du mois de mars.

Teunissen et al. s’intéressent en particulier à l’adaptation du temps d’apprentissage en stage avec un passage vers un « apprentissage par compétences à rythme variable ». Ils mettent en avant l’impact du contexte clinique auquel les étudiants sont exposés sur les apprentissages. La grande variabilité de l’environnement d’apprentissage et des interactions possibles est à la fois une chance de développer son adaptabilité, mais aussi un risque de curriculum caché à effet négatif.  Or, actuellement, les stages sont organisés de façon très rigide, selon les possibilités (et les demandes) de l’institution, et non selon les besoins des étudiants. Le rythme de développement des compétences varie pourtant d’une personne à l’autre et en fonction des expériences cliniques et de l’accompagnement dont bénéficie l'étudiant. Il est donc logique d’envisager une plus grande flexibilité.

Il n’est évidemment pas question de considérer que ceux qui semblent avoir acquis rapidement les compétences spécifiques d’un stage en repartent immédiatement. Il existe un réel bénéfice pour un apprenant compétent à persister et à tester ses compétences spécifiques dans l’environnement où il les a acquises, afin de développer d’autres compétences, plus transversales, et une pratique réflexive. Il pourrait néanmoins bénéficier d’une rotation différente de son collègue qui a besoin de plus de temps pour maîtriser les mêmes compétences spécifiques.

Accepter cette variabilité de rythme d’apprentissage est un défi pour tous, apprenants, éducateurs et personnels administratifs. Les auteurs nous invitent avant tout à changer de paradigme : ne plus considérer que l’enseignement a pour but de faire acquérir des compétences à titre individuel, mais qu’il sert plutôt à créer des expériences riches de sens, qui assurent le développement d’une « compétence collective » permettant à l’apprenant de trouver sa place dans le système au sein duquel il évolue. 

La formation de demain devra à la fois permettre l’acquisition de compétences (et l'atteinte des objectifs d'apprentissage "standards") et la réelle participation des étudiants compétents au fonctionnement du terrain de stage (et la confrontation des standards acquis à l’Autre). Cela devra passer par des stages de durée variable et aux objectifs variables, tant cliniques que transversaux.  


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Naissance et mort des curriculums

Birth and death of curricula, Norman (2017), Advances in Health Sciences Education - par Mathieu LORENZO

Quelles sont les conditions qui mènent un établissement formant des professionnels de santé à repenser son curriculum ? Que faire lorsqu’on décide d’un tel changement ? Dans un éditorial publié dans une grande revue anglophone d’éducation médicale, Geoff Norman, de l’Université MacMaster (Canada), s’interroge sur ces questions à travers l’exemple de la refonte du curriculum de sa faculté.
Il discute de la nécessité de baser cette démarche d'ingénierie curriculaire sur les données de la littérature en éducation médicale. Cependant, de nombreuses institutions ne disposent pas de département de pédagogie ou leurs membres n’ont pas la possibilité d’exercer correctement leurs missions. Il en résulte que nombre de décisions concernant les curriculums n’ont pas de fondement scientifique. L'auteur relativise ensuite l’importance de telles démarches au regard des différences considérables entre ce qui est souhaité et ce qui est réellement mis en oeuvre. Il discute enfin des possibilités d'évaluation de l’impact des changements curriculaires sur les performances des étudiants. Ces évaluations sont difficiles à mettre en oeuvre et l’impact semble minime.
Norman invite les responsables institutionnels à bien mûrir la décision de repenser un curriculum au regard du temps et des moyens nécessaires. Si un tel changement est décidé, il est alors crucial que les chercheurs en éducation médicale soient impliqués dans la démarche, dans l’intérêt des étudiants.

Raisonnement clinique

Raisonnement pour la gestion de cas : détermination empirique des principales caractéristiques et d’un modèle conceptuel

Cook et al, (2023), Academic Medicine - par Racha ONAISI

Le raisonnement clinique a principalement été exploré sous l’angle du raisonnement diagnostique. Il relève d’un double processus, intuitif et analytique, fonctionnant de manière simultanée, et repose sur l’activation de scripts cliniques, qui correspondent à une organisation structurée des connaissances permettant leur mobilisation selon le contexte clinique, à partir d’un nombre de données restreint. 

Cook et al. s’intéressent ici au raisonnement clinique mobilisé pour planifier et mettre en œuvre un plan de soins, autrement dit le raisonnement impliqué dans la prise de décision concernant la prise en charge du patient, qu’ils définissent ainsi : « les processus cognitifs par lesquels les cliniciens intègrent les informations cliniques (histoire, résultats d’examens clinique et complémentaires), les préférences, les connaissances médicales et les facteurs contextuels pour prendre des décisions concernant la gestion d’un patient, incluant les décisions thérapeutiques, de prescription d’examens supplémentaires, de planification du suivi et d’allocation de ressources limitées ». 

L’objectif de leur travail était, à partir de l’analyse de vidéos de consultations simulées en soins primaires, d’identifier les composantes de ce raisonnement, afin de valider le modèle hypothétique préalablement défini par les auteurs et de le compléter. Ce modèle préliminaire comportait cinq principales composantes : comparer et choisir parmi plusieurs options défendables et acceptables ; prioriser les préférences du patient, du clinicien et du système de soins, en tenant compte des contraintes et des valeurs ; communiquer et mettre en œuvre une décision partagée ; monitorer et ajuster le plan de soins ; gérer les interactions dynamiques entre les personnes, systèmes, contextes et priorités parfois contradictoires.

Les auteurs ont généré 120 pages de commentaires de vidéos, qui ont été analysées et condensées en une liste de tâches, processus et réflexions de 18 pages, ensuite condensées en une liste d’éléments clés et en un modèle de raisonnement. 

Cela leur a permis de définir sept composantes clés supplémentaires dans le raisonnement pour la gestion de cas. En premier lieu, les liens avec le raisonnement clinique diagnostique sont majeurs puisque l’une des composantes principales pour un raisonnement efficient est une bonne connaissance de la pathologie : la gestion de cas est spécifique de la pathologie. Elle nécessite par ailleurs une bonne connaissance par le praticien des éléments logistiques du système de soins local, notamment lorsque des éléments thérapeutiques non médicamenteux sont requis. Les auteurs ont également identifié l’existence de « scripts de gestion », de la même façon que le raisonnement diagnostique implique des scripts cliniques. Ces scripts comprennent les options de prise en charge incluant les tests diagnostiques, les traitements, le suivi, l’éducation du patient, la décision partagée, et la surveillance/monitoring du plan de prise en charge. Ils définissent ces scripts de gestion comme « des connaissances conceptuelles préétablies et structurées qui décrivent et relient les options de prise en charge et les tâches du clinicien dans une séquence temporelle ou logique pour faciliter l’élaboration d’un plan de prise en charge adapté », les scripts les plus performants semblant être ceux ancrés dans un cadre général et adaptés, lorsqu’ils sont mobilisés, aux spécificités de la pathologie et du patient. Deux autres éléments repérés étaient le rôle majeur de la capacité à obtenir l’adhésion complète du patient, impliquant une relation médecin-patient de qualité où le praticien est capable de construire une relation de confiance nécessitant notamment d’identifier de façon efficace les inquiétudes du patient. Le raisonnement pour la gestion de cas implique en outre la capacité d’établir un pronostic et de répondre aux questions des patients sur ce sujet. Enfin, en clé de voûte du processus, l’organisation de la rencontre tant pour la gestion du temps que du raisonnement, ou encore la structuration de la consultation pour permettre une mobilisation efficace de l’ensemble des composantes du raisonnement de gestion dans un temps limité et au cours du suivi. 

Les écueils identifiés comportaient les plans de soins flous ou limités à une seule option, l’échec à explorer et s’assurer des préférences du patient, l’absence de décision médicale partagée, l’échec à saisir les indices donnés par le patient (communication non verbale, notamment, mais aussi verbale) et enfin, l’échec à s’assurer de la bonne compréhension et de l’adhésion du patient au plan de soins. Ces écueils sont associés à une moins bonne satisfaction des soins, et à un risque de moins bonne adhésion et observance thérapeutique. 

Ces différentes composantes seraient impliquées dans les étapes du raisonnement pour la gestion de cas, la première étant l’activation, la sélection et l’adaptation d’un script de gestion combinant les connaissances spécifiques à la maladie, aux ressources locales et au patient, et l’expérience du clinicien. Le script activé permet alors d’identifier les différents plans de soins pouvant être proposés au patient dans son contexte spécifique, permettant d’initier l’éducation thérapeutique et la planification des étapes de la rencontre clinique. La troisième étape du raisonnement pour la gestion est alors la mise en œuvre d’un processus de décision partagée. La dernière étape est celle de la surveillance continue du plan de soins en vue de l’adapter selon l’évolution et les besoins. À chacune de ces étapes, la prise en compte des préférences du patient semble primordiale. 

Bien que s’appuyant sur des consultations simulées et pouvant comporter un biais de confirmation, car les auteurs ont utilisé, en grille de lecture, le cadre théorique qu’ils avaient préalablement défini, ce travail permet de souligner l’importance des scripts pour la mise en œuvre d’un raisonnement efficace. Cela avait été montré pour le raisonnement diagnostique, et semble également adapté au contexte de la prise de décision pour la gestion du cas et l’élaboration d’un plan de soins personnalisé. La différence principale réside dans la place majeure du patient, de ses préférences et du processus de décision partagée, dans le raisonnement pour la gestion de cas, alors que le raisonnement diagnostique n’implique pas directement le patient et son point de vue. 

La perspective principale pour la formation des étudiants est que, tout comme le superviseur clinicien peut, par des stratégies de supervision et de rétroaction adaptées, aider l’étudiant à enrichir, consolider et perfectionner les scripts cliniques et son raisonnement, une supervision centrée sur les composantes et les étapes du raisonnement pour la gestion de cas pourrait contribuer à améliorer la formation des étudiants, et, par conséquent, les soins apportés aux patients. 
L’élaboration d’outils de décision partagée, permettant de soutenir ce processus, pourrait également être enrichie par une meilleure connaissance des processus cognitifs mis en œuvre au cours de la prise de décision par le praticien. 

Le raisonnement pour la prise de décision, tant diagnostique que thérapeutique, est un processus essentiel dans le soin ; sa meilleure description et compréhension constituent donc des enjeux majeurs. 

Face à l'incertitude : humilité, curiosité et partage

Audétat et Nendaz, (2020), Pédagogie Médicale - par Elodie HERNANDEZ

Voici un éditorial fort intéressant sur l’actualité liée à la crise sanitaire, qui a récemment bouleversé nos pratiques, tant sur le plan clinique que pédagogique. Signé par Marie-Claude Audétat et Mathieu Nendaz dans la revue Pédagogie médicale, il met en lumière l’article de Baptiste Motte et al., publié dans le même numéro, tout en faisant le lien avec le contexte sanitaire actuel.

Les incertitudes inhérentes à la situation y sont décrites comme multiples. Elles sont théorisées grâce à la taxonomie de Han. La COVID 19 expose ainsi à l’incertitude de sa probabilité, de son ambiguïté et de sa complexité. Cette incertitude renvoie aussi à des problématiques scientifique, pratique et personnelle. La problématique scientifique est incarnée par les difficultés de raisonnement clinique face à cette situation inédite et exceptionnelle. La problématique pratique est adossée à des enjeux nouveaux liés à l’organisation des soins. La problématique personnelle concerne les comportements individuels des soignants. Face à cette crise, nous avons en effet tous été exposés à de multiples informations scientifiques à traiter et à trier, ainsi qu’à une modification forcée de l’organisation des soins et une nécessité de protéger sa vie personnelle, le tout, parfois, au détriment des soins habituellement considérés comme « normaux » ou « standards ». Dans ce contexte, de fortes résistances à accepter l’incertitude de la situation ont émergé chez beaucoup de personnes et se sont traduites par l’adoption de postures souvent extrêmes.

Les auteurs de l’éditorial suggèrent de transformer ces difficultés à gérer l’incertitude en rétablissant une forme d’éthique auprès de la population médicale et non médicale. Ils proposent aussi d’utiliser cette incertitude dans notre communication avec le patient, afin que la relation thérapeutique s’inscrive dans le cadre d'un partenariat, pour avancer ensemble. Ainsi l’Evidence Based Medicine ne s’oppose pas à la pratique clinique "de terrain". L’une et l’autre s'adossent pour favoriser le partenariat patient-soignant. Enfin, il apparaît dorénavant évident - si tant est qu'il faille encore en apporter les preuves - que la formation à l’incertitude est impérieuse dans nos parcours de formation initiale et continue. Il est d’ailleurs admis qu’une meilleure gestion de l’incertitude limite les risques de burn-out chez les soignants. Cet apprentissage, supervisé avec bienveillance, nécessite un changement de culture professionnelle qui implique de passer d’une médecine unilatérale toute puissante à une relation de partenariat permettant la responsabilisation de chacun.

À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles : nul doute que la COVID 19 constitue une opportunité d’engendrer ou d’accélérer les modifications de nos pratiques professionnelles cliniques et pédagogiques.

Pensée critique, biais et double processus : le mythe persistant des compétences généralisables 

Critical thinking, biases and dual processing: The enduring myth of generalisable skills, Monteiro et al. (2019), Medical Education - par Mathieu LORENZO

Les capacités généralisables comme l’esprit critique, la réflexion et le double processus du raisonnement clinique n’existent pas. C’est en tout cas ce que postulent les auteurs d'un article polémique, récemment publié dans la revue Medical Education. A travers l’analyse des courants historiques portant sur l’acquisition de capacités généralisables, depuis un siècle, ils concluent que l’on observe actuellement, dans les cursus en sciences de la santé, une résurgence des objectifs visant à développer des capacités génériques, parmi lesquelles l’esprit critique, la réflexion ou le double processus.

Les auteurs démontrent à l’aide des données de la littérature que ces capacités sont fondamentalement liées aux connaissances et au contexte dans lequel elles s’exercent. L’article se termine par une critique des cursus basés sur les compétences qui, selon eux, visent le développement de compétences génériques, comme « effectuer un interrogatoire exhaustif ». 

Le contexte anglo-saxon dans lequel évoluent les auteurs est bien différent du contexte francophone. En particulier, c’est la conception même de la compétence qui semble différer. Si l’on conçoit la compétence comme « un savoir agir complexe prenant appui sur la mobilisation et la combinaison efficace d’une variété de ressources internes et externes au sein d’une famille de situation », comme la définit Tardif, les critiques énoncées plus haut ne tiennent plus. La compétence repose par définition sur une mobilisation de connaissances. Elle ne s’exerce que dans des situations comparables réunies au sein de familles de situation. Il est dans ce cadre peu probable que la réalisation d’un interrogatoire constitue « un savoir-agir complexe ». 

Cet article a toutefois le mérite de nous rappeler l’importance, pour le développement des compétences des professionnels de santé, du lien avec les situations professionnelles et de la contextualisation des connaissances. 

Le raisonnement thérapeutique : implications pour les formateurs en sciences de la santé et perspectives de recherche

Management Reasoning: Implications for Health Professions Educators and a Research Agenda, Cook et al. (2019), Academic Medicine - par Mathieu LORENZO

Faut-il différencier le raisonnement diagnostique et le raisonnement thérapeutique (au sens large : la prise en charge) ? C’est ce que propose un groupe de chercheurs américains ce mois-ci dans la revue Academic Medicine.

Les auteurs mettent en avant plusieurs différences entre ces raisonnements. Le raisonnement thérapeutique implique ainsi une décision partagée avec le patient et un suivi des effets de cette décision. S’il est fréquemment possible de déterminer un diagnostic correct unique, il existe par ailleurs la plupart du temps plusieurs propositions différentes de prise en charge, qui sont toutes acceptables, selon les préférences du patient et du soignant, et selon le contexte. La dichotomie entre ces deux types de raisonnements me semble à titre personnel discutable, dans la mesure où le raisonnement diagnostique se prolonge dans l’analyse des résultats d’investigations (par exemple, un bilan biologique) et dans les propositions thérapeutiques (par exemple, tester l’efficacité d’un traitement pour confirmer un diagnostic).

Les auteurs suggèrent que l’apprentissage et l’évaluation du raisonnement thérapeutique tiennent compte des spécificités par rapport au raisonnement diagnostique. Il faudrait en particulier mobiliser des méthodes et outils pédagogiques permettant d'illustrer le fait que plusieurs réponses différentes peuvent être considérées comme étant acceptables, et développer chez les étudiants la tolérance à l'incertitude. Il serait également souhaitable d'utiliser des outils d’évaluation de la décision partagée. Le test de concordance de script (TCS) est l'un des outils proposés pour atteindre ces objectifs. De manière plus globale, les évaluations en stage seraient aussi un bon moyen de capter la complexité du raisonnement thérapeutique.

Cet article soulève plusieurs considérations intéressantes pour les formateurs en sciences de la santé. Il nous invite en particulier à réfléchir aux outils pédagogiques utilisés pour l'apprentissage du raisonnement clinique au regard de leur authenticité et de leur capacité à refléter la complexité et la totalité de la pratique soignante. Davantage que le TCS, les formations par concordance de raisonnement (des questions de TCS accompagnées d’une explication de la réponse donnée par chaque expert) pourraient être des outils utiles pour l’apprentissage et l’évaluation de la dimension thérapeutique du raisonnement clinique, selon les principes énoncés par les auteurs.

Les méthodes d'évaluation du raisonnement clinique : une revue narrative et des conseils pratiques

Clinical Reasoning Assessment Methods: A Scoping Review and Practical Guidance, Daniel et al. (2019), Academic Medicine - par Mathieu LORENZO

Les différentes réformes des études de santé doivent notamment conduire à faire évoluer les dispositifs d’évaluation des connaissances pures vers des dispositifs d’évaluation de l’application de ces connaissances dans le cadre du processus de raisonnement clinique. Quelles sont les méthodes d’évaluation du raisonnement clinique disponibles à l’heure actuelle ? Sont-elles valides ? Sont-elles aisées à mettre en place ?

Voici quelques-unes des questions auxquelles a tenté de répondre une prestigieuse équipe internationale ce mois-ci dans la revue Academic Medicine. Au travers d’une revue narrative de la littérature (revue non systématique, itérative), les auteurs ont identifié dix-neuf méthodes. Celles-ci se divisent en méthodes basées sur la pratique, basées sur des situations simulées, ou non basées sur la pratique.

Parmi les méthodes couramment utilisées en France, on retrouve l’observation directe, les rapports de cas, les évaluations globales sur une période de stage (c'est-à-dire le jugement global porté par un superviseur en stage à partir de différentes supervisions directes et indirectes), les examens cliniques objectifs structurés (ECOS), les tests de concordance de script (TCS), ou encore les examens oraux. D’autres méthodes sont moins développées, comme la méthode de raisonnement à voix haute (verbaliser ses pensées à voix haute pendant la prise en charge d'un patient) et les patients virtuels.

A partir des forces et faiblesses de ces différentes méthodes, les auteurs proposent des combinaisons qui pourraient permettre, à l’échelle d’un cursus, d’évaluer au mieux le processus de raisonnement clinique des étudiants en sciences de la santé : observations directes + ECOS + évaluations globales + TCS.

Avec la prise de conscience globale de la responsabilité sociale des facultés et instituts de formation des professionnels de santé, cet article nous invite à reconsidérer les dispositifs d’évaluation du raisonnement clinique proposés afin de s’assurer qu’aucun étudiant présentant des difficultés de raisonnement ne passe « sous le radar » et que les intéressés puissent bénéficier d’un programme d’accompagnement spécifique.

La bouche est-elle le reflet de l'esprit ?

Is the mouth the mirror of the mind? Norman (2018), Advances in Health Sciences Education - par Mathieu LORENZO

La bouche est-elle le reflet de l’esprit ? C’est la question que se pose Geoff Norman, de l’université MacMaster (Canada), dans un éditorial paru le mois dernier dans la revue Advances in Health Sciences Education.

En quoi cette question pourrait-elle concerner la communauté des enseignants et chercheurs en éducation médicale ? La réponse est que nous sommes bien souvent confrontés à des situations où nous présumons que les individus peuvent se remémorer exactement les expériences qu’ils ont vécues par le passé. S’ils ne le peuvent pas spontanément, nous présumons qu’ils en seront capables avec un niveau approprié de guidance. Quand nous supervisons un futur professionnel de santé en le questionnant sur la manière dont il est arrivé à son diagnostic ou que nous interviewons un sujet pour comprendre son raisonnement dans le cadre d'un travail de recherche, nous ne questionnons pas l’acuité de ce compte-rendu (ou trop rarement).

Au travers de multiples exemples de travaux menés en psychologie, Norman nous invite à la prudence vis-à-vis de l’introspection. Toute personne amenée à réaliser un travail de recherche en éducation médicale devrait ainsi analyser de manière critique dans quelle mesure sa méthode permet réellement de « capter » les processus de pensée des participants et s'il ne s'agit pas parfois d'une simple reconstruction « post-hoc » de leurs actions et de leur raisonnement.

Utiliser des stratégies de raisonnement relationnel pour améliorer le raisonnement clinique

Using relational reasoning strategies to help improve clinical reasoning practice, Dumas et al. (2018), Academic Medicine - par Chloé DELACOUR

La recherche sur le raisonnement clinique est en continuelle ébullition. Dans un article récemment publié dans Academic Medicine, Durning et son équipe nous invitent à considérer une nouvelle perspective : celles des stratégies de raisonnement relationnel. Sous ce terme peu familier se cachent des stratégies de raisonnement connues de tous :

  • l’analogie (identification de similarités)
  • l’anomalie (identification de différences quant à ce qui était attendu)
  • l‘antinomie (identification d’incompatibilités entre l’hypothèse initiale et les données recueillies)
  • l’antithèse (opposition entre deux points de vue totalement divergents).

Si les stratégies de raisonnement relationnel ont été étudiées dans de nombreux domaines des sciences cognitives et des sciences de l’éducation, il existe peu d’études dans le champ de la pédagogie médicale. Or, les expériences empiriques rapportées montrent qu’il est possible de faire des liens entre les différentes théories existantes sur le raisonnement clinique (parmi lesquelles, la théorie du double processus et celle de la reconnaissance de formes) et les stratégies de raisonnement relationnel. Il existerait également des différences d’utilisation des stratégies en fonction du niveau de compétences des cliniciens.

Dumas et al. soutiennent dans cet article que l’utilisation au quotidien et dans l’enseignement de ces stratégies permettrait de réduire les erreurs de raisonnement clinique. Ils soulignent toutefois que seules, elles sont possiblement contre-productives.

Comment utiliser ces stratégies en pratique ? L’article propose l’exemple suivant : lors d’une prise de décision thérapeutique en équipe pour un patient, il pourrait être intéressant de commencer avec la stratégie de l’analogie pour identifier des cas similaires déjà rencontrés, puis de poursuivre avec celle de l’antinomie pour identifier les contre-indications existantes, et de terminer avec celle de l’antithèse pour inviter les membres de l’équipe à verbaliser des avis divergents. L’identification des anomalies serait une stratégie à utiliser en permanence, en parallèle des autres, afin de remettre en question les conclusions posées.

Des recherches s’appuyant sur ce modèle sont nécessaires pour valider les données empiriques et renforcer le modèle proposé.

Interprofessional collaborative reasoning by residents and nurses in internal medicine: Evidence from a simulation study

Le raisonnement collaboratif interprofessionnel par les internes et les infirmiers en médecine interne : résultats d'une étude reposant sur l'usage de la simulation, Blondon et al. (2017), Medical Teacher - par Chloé DELACOUR


Blondon et al. ont réalisé une étude visant à identifier les composantes du raisonnement collaboratif d'une équipe internes-infirmiers prenant en charge un patient simulé en situation d’urgence dans un service de médecine interne.
Le raisonnement collaboratif, décrit par Mason en 1996 est un processus permettant à une équipe de développer un modèle mental commun à propos d'un patient et de sa prise en charge. L’analyse qualitative du verbatim produit par le débriefing des 14 simulations réalisées a permis de mettre en évidence cinq dimensions dans le raisonnement collaboratif employé :
  • Le raisonnement diagnostique
  • La prise en charge du patient
  • Le monitoring du patient
  • La communication
  • Les explications données aux patients.
Les chercheurs ont notamment mis en évidence que le raisonnement collaboratif de l’équipe n'est pas la somme des raisonnements de chaque membre. Bien qu’utilisant des processus de raisonnement différents, infirmiers et internes arrivent à émettre des hypothèses diagnostiques, que les infirmiers ne communiquent pourtant pas clairement, ce qui va influencer la prise en charge du patient par l’interne. Les internes ont quant à eux un bas niveau de conscience globale de la situation, ce qui mène à une surcharge de consignes données aux infirmiers puis à une surcharge cognitive généralisée. Le niveau individuel de connaissances ne semble pas jouer de rôle dans l’efficacité de la prise en charge par l’équipe.
Malgré ces différences, un raisonnement collaboratif a pu émerger dans chacune des situations simulées étudiées.

Supervision en stage

Rôle des infirmiers dans l’apprentissage des internes sur leur lieu de travail : une étude mixte

Exploring nurses’ role in guiding residents’ workplace learning: A mixed-method study, Jansen et al. (2023), Medical Education - par Élodie HERNANDEZ

À l’heure où l’évaluation des compétences prend de l’ampleur dans nos formations, où certains ont recours à l’évaluation 360° en stage, ou d’autres s’inscrivent dans une démarche de multiplication des données pour mieux évaluer, cet article, qui s’interroge sur le rôle des infirmiers dans l’apprentissage des internes en médecine sur leur lieu de stage, a suscité tout mon intérêt. Basée sur un devis mixte et réalisée aux Pays-Bas, l’étude avait pour objectif d’explorer la perception de la fonction de guidance offerte par les infirmiers par les intéressés et par les internes.

La guidance a pour but de faciliter l’implication des acteurs concernés sur le lieu de travail, d’orienter les novices vers de nouvelles opportunités d’apprentissages et de contribuer à leur socialisation. Ce rôle inclut donc des activités formelles et informelles.

Les auteurs ont dans un premier temps recueilli des données quantitatives afin de contrôler l’alignement des perceptions des internes et des infirmiers quant au rôle de guidance des seconds. Les facteurs à l’origine de ces perceptions ont ensuite été analysés à l’aide de questions ouvertes associées au questionnaire. Sept thèmes ont été identifiés : démonstration, feed-back, soutien, socialisation, apprentissage par le soin du patient, engagement et implication dans l’évaluation.

Le questionnaire a été créé selon un processus de développement intégrant des items reformulés à partir de questionnaires d’évaluation validés. Il a été rempli par 103 internes et 401 infirmiers. Les répondants étaient majoritairement des femmes. La guidance des infirmiers était perçue par chaque profession comme importante. Dans les domaines de la démonstration, du feed-back et de la socialisation, aucune différence significative n’a été documentée entre les deux groupes. Dans les domaines du soutien et de l’apprentissage par le soin du patient, les infirmiers ont accordé une plus grand importance à la guidance. Dans les domaines de l’engagement et de l’implication dans l’évaluation, ce sont les internes qui ont donné plus de poids à la guidance.

L’analyse des raisons de ces perceptions a permis de classer les réponses en deux grands thèmes, quelle que soit la profession des répondants :
Les répondants qui reconnaissent le rôle de guidance de l’infirmier (la majorité).
Les répondants qui considèrent le rôle de guidance comme limité (pour une minorité).
Concernant les infirmiers qui reconnaissent le rôle de guidance, ils estiment que celle-ci contribue à une bonne collaboration et à la qualité des soins offerts aux patients, donne aux internes une vision plus exhaustive de la profession d’infirmier, et permet d’enseigner aux internes et de présenter les procédures et protocoles du service, notamment lorsque les médecins séniors ne le font pas. À l’inverse, d’autres infirmiers ne se sentent pas impliqués dans ce processus de guidance, signalent que cela augmente leur charge de travail ou que ce n’est pas leur rôle.

Pour les internes qui soulignent l’intérêt de la guidance par les infirmiers, ce rôle est en particulier valorisé par rapport aux soins offerts aux patients, qui nécessitent un travail d’équipe est une collaboration adéquate. Les internes reconnaissent également que les infirmiers contribuent, à travers le partage de connaissances et d’expériences, à leur apprentissage. À l’opposé, une partie des internes considère que leur profession et celle d’infirmier, ainsi que les apprentissages qui y sont liés sont trop différents. Ils n’adhèrent pas à la guidance par les infirmiers. Dans ce groupe de non-reconnaissance du rôle de guidance ont été inclues les réponses qui révélaient un manque de clarté quant au concept de guidance (alors même que le concept avait été défini dans les questions ouvertes).

Ces résultats sont confortés par la littérature sur le rôle des infirmiers dans l’apprentissage des internes, qui met en évidence la valeur ajoutée quant au fait d’offrir à chacun un aperçu du métier de l’autre, afin que chaque professionnel connaisse son rôle, ses limites et ce qu’il peut attendre de l’autre dans la perspective de mieux travailler ensemble. Cette étude montre aussi que l’implication des infirmiers dans l’apprentissage des internes pourrait être encore plus importante si elle était soutenue par les médecins séniors. Ces derniers ont en effet un rôle majeur à jouer dans l’implantation d’un tel dispositif, en valorisant les infirmiers qui s’engagent dans cette fonction et, surtout, en incitant les internes à chercher cette guidance pour profiter pleinement des apprentissages qui peuvent en découler.

La collaboration interprofessionnelle mise en avant par cet article pourrait ainsi devenir une compétence à part entière dans chaque cursus de formation, lorsque ce n’est pas encore le cas. L’institution universitaire pourrait quant à elle promouvoir une éducation interprofessionnelle reconnue de tous.

Liens de pouvoir, empowerment et validité dans l'évaluation des étudiants en milieu professionnel

Empowering or validity threat? Trainee control over workplace-based assessments, Prentice (2021), Medical Education - par Racha ONAISI

Trust, power and learning in workplace-based assessment: The trainee perspective, Castanelli et al. (2021), Medical Education

Les deux articles que je vais présenter dans cette analyse sont liés, puisque Prentice a rédigé son argumentaire en réponse au travail publié par Castanelli et al. D’ailleurs, j’ai découvert ce dernier par la lecture du texte de Prentice. Ces deux textes soulèvent un des enjeux majeurs de l’évaluation en milieu professionnel, et Prentice élargit la réflexion à la tension qui existe, plus globalement, entre évaluation formative et évaluation sommative dans un contexte d’approche par compétences qui nécessite un recueil multiple et répété de données évaluatives.

L’approche choisie par Castanelli et collègues est d’interroger les interactions entre relations de pouvoir inhérentes au duo superviseur/étudiant et confiance, et la conséquence de ces interactions sur l’évaluation en milieu professionnel. Leurs résultats rappellent à quel point l’alliance pédagogique est centrale pour favoriser les apprentissages en stage des étudiants en santé, et à quel point la qualité de cette alliance est déterminée, avant tout, à partir du point de vue de l’apprenant. En effet, l’un des indicateurs d’une alliance pédagogique de qualité est le fait que l’apprenant s’autorise à montrer ses vulnérabilités et faiblesses face au superviseur, s’accorde un droit à l’erreur et s’engage avec honnêteté dans les tâches supervisées, sans mise en scène ou théâtralisation de ses compétences et performances.
 
Le travail de recherche qualitative, conduit par les auteurs selon une approche par théorisation ancrée auprès d’étudiants en anesthésie-réanimation australiens et néo-zélandais, a ainsi permis d’élaborer le modèle suivant : les superviseurs sont en position de pouvoir sur les étudiants en situation d’évaluation en milieu professionnel, ce qui constitue pour les étudiants à la fois une opportunité (accès à une expertise et un support) et une exposition à un risque (celui de voir son image impactée négativement). En réponse à ce pouvoir perçu et à la façon dont il s’exprime (bienveillance, contrôle, voire arbitraire), les étudiants, eux, exercent le pouvoir de choisir les superviseurs et les situations dans lesquelles ils agiront de la façon la plus proche de leur exercice non supervisé.
 
Pourquoi, alors, une réaction vive de la part de Prentice ? Simplement, car la discussion de Castanelli et al. propose, entre autres, de laisser les étudiants décider, en contexte d’évaluation en milieu professionnel, des situations sur lesquelles ils seront évalués et du superviseur qui réalisera cette évaluation, en vue de promouvoir l’évaluation comme outil d’apprentissage ("assessment for learning") et de mieux la distinguer de l’évaluation des apprentissages ("assessement of learning"). L'intuition des auteurs est que cette proposition, dans un contexte où la responsabilité sociale des évaluateurs implique qu’ils s'assurent de diplômer des professionnels compétents (une responsabilité lourde, donc !), va entrainer des débats et des controverses.

L’approche de Prentice est très intéressante. Il reconnaît volontiers des avantages à donner plus de pouvoir de contrôle aux apprenants en situation d’évaluation en milieu professionnel, ce qui produit les effets suivants : performance observée plus authentique (ce qui améliore la validité de l’évaluation), engagement plus important de l’étudiant dans l’évaluation, [en cas d’étudiant réflexif et d’auto-évaluation adaptée] meilleur ciblage des situations correspondant à des besoins d’apprentissage, amélioration du bien-être des étudiants, et autonomisation propice à une meilleure construction de leur identité professionnelle. Toutefois, contrairement à Castanelli et al. qui centrent toute la mise en œuvre de leur modèle dans une approche formative de l’évaluation, Prentice refuse une dichotomie tranchée entre évaluation formative et évaluation sommative dans l’approche par compétence. Il soulève ainsi un débat primordial dans l’évaluation des compétences, et rappelle que, dans ce cadre, il n’est pas possible - et les étudiants le perçoivent bien dans la littérature et la pratique – de s’inscrire dans une approche du « uniquement formatif pur » vs « uniquement sommatif » (dans le sens de « sanctionnant »). En effet, dans une approche aussi dichotomique, il ne serait pas possible de s’appuyer sur des évaluations formatives répétées pour documenter la progression et le développement des compétences des étudiants. Or, l’évaluation des compétences nécessite cette logique « vidéographique », et se contenter d’une évaluation sommative complètement isolée de ces évaluations répétées au fil de l’eau conduirait à une approche plus photographique et, surtout, où la rétroaction n’aurait finalement que peu de place, menaçant par là même la validité de l’évaluation de la compétence.

Prentice suggère donc de considérer qu’évaluation purement formative et évaluation purement sommative sont deux extrêmes d’un continuum sur lequel il faut placer le curseur, s’inscrivant en cela dans l’approche que propose par exemple Jacques Tardif. Pour situer ce curseur, Prentice propose une approche selon le degré d’enjeu du moment évaluatif : évaluation à enjeu faible, intermédiaire ou élevé, dans une approche programmatique qui situe bien la répartition de ces évaluations à enjeux différenciés, permettant une approche plus nuancée et équilibrée, en vue de concilier environnement propice à l’apprentissage et évaluation valide. 

Une comparaison entre des rencontres interne/patient et des présentations en médecine générale

Comparing resident-patient encounters and case presentations in a family medicine clinic, Skelly et al. (2019), Medical Education - par Mathieu LORENZO

Dans quelle mesure la supervision indirecte rend-t-elle compte de manière adéquate des compétences des étudiants ? Pour répondre à cette question, une équipe américaine a enregistré une vingtaine de consultations entre un interne de médecine générale et son patient, ainsi que la supervision indirecte qui en a découlé.

Les résultats montrent que la plupart des participants ne rapportent pas le point de vue du patient dans la supervision. Comme on pouvait s'y attendre, ces situations ne permettent de ce fait pas d’évaluer adéquatement les compétences de communication.

Alors que beaucoup de milieux de formation privilégient les méthodes de supervision indirectes pour évaluer les apprentissages des étudiants, ces données soutiennent l’utilisation renforcée de la supervision directe, notamment lorsque l’évaluation de compétences de communication est visée. Dans l’absolu, les superviseurs ont tout intérêt à mixer ces modes de supervision pour favoriser le développement des compétences des futurs professionnels de santé.

La théorie de la charge mentale pour former les professionnels de santé en milieu de travail

Cognitive load theory for training health professionals in the workplace: A BEME review of studies among diverse professions, Sewell et al. (2018), Medical Teacher - par Chloé DELACOUR

Récemment, dans la revue Medical Teacher, Sewell et al. nous invitaient à réfléchir à la place des théories sur la charge mentale dans l’enseignement en milieu clinique.  

La notion de « charge mentale » est issue des sciences cognitives, qui imprègnent depuis longtemps déjà la pédagogie. Les auteurs ont réalisé une revue de la littérature afin de dresser un état des lieux quant à l’application des théories sur la charge mentale et ses composantes dans l’enseignement en milieu de travail : charge intrinsèque (nature des données à traiter), extrinsèque (environnement et données « parasites ») et pertinente (manière de traiter les données).

L'originalité de cette revue de la littérature repose sur le fait que les écrits ciblés portaient sur d'autres milieux professionnels que ceux liés à la santé. Les auteurs ont ainsi pu effectuer des comparaisons avec les pilotes d’avion et les ingénieurs de l'industrie nucléaire, milieux déjà observés à la loupe par les professionnels de santé qui travaillent et font de la recherche dans le domaine de la simulation.

Bien que les données existantes soient insuffisantes, certains éléments intéressants apparaissent, qui peuvent notamment avoir une implication pour les responsables de curriculum. Le milieu clinique représente ainsi une charge mentale très élevée pour des novices, tant sur le plan intrinsèque qu’extrinsèque, ce qui peut grandement limiter les capacités réelles d’apprentissage. Une adaptation des tâches et de l’exposition des étudiants aux éléments environnementaux selon leur niveau est donc primordiale pour permettre leur engagement. Il serait cependant simpliste d’imaginer qu’une charge cognitive réduite favorise l’apprentissage. Au contraire, lorsqu'elle est trop faible, elle peut provoquer de l’ennui, et donc, un désengagement.

La complexité réside aujourd’hui dans la mesure de la charge mentale et de ses composantes en milieu professionnel, la majorité des études ayant été effectuées en milieu académique ou dans un environnement simulé. En milieu clinique réel, le patient vient « concurrencer » la position centrale occupée par l’apprenant, et donc, modifie la donne. Une piste intéressante consiste à entraîner les étudiants en stage à mieux gérer les sources de charge mentale extrinsèques, pour "libérer du temps de cerveau" pour les apprentissages. Il pourrait s'agir d'un moyen efficace pour réduire le risque de burn-out, selon une étude. Bénéfique pour les étudiants et pour leurs patients, donc.

Hypothèse : l'environnement hospitalier entrave l'acquisition par les étudiants de la réflexivité et du professionnalisme

Hypothesis: the hospital learning environment impedes students’ acquisition of reflectivity and medical professionalism, Benbassat (2018), Advances in Health Sciences Education - par Chloé DELACOUR

La formation des étudiants dans la plupart des filières de la santé repose en grande partie sur un apprentissage « au lit du malade ». Le contact direct avec le patient est en effet considéré comme essentiel pour le développement des compétences, en particulier relatives au professionnalisme des étudiants.

La littérature semble nous indiquer que les stages cliniques actuels, majoritairement hospitaliers, ne sont favorables ni au développement du professionnalisme ni au bien-être des étudiants, en particulier en ce qui concerne les étudiants en médecine. Et si les services d’hospitalisation n’étaient pas le bon endroit pour former de futurs professionnels de santé ? Les explications avancées sont que les stages exposent les étudiants à 1) trop de patients, 2) pour lesquels un diagnostic a très souvent déjà été posé, et 3) dans des conditions insuffisamment riches en moments de réflexions individuelles et avec les tuteurs.

Pour Benbassat, ces lieux de stage ne devraient ainsi plus être le "gold standard". L'avenir de la formation semblerait plutôt se situer dans un parcours à stages longs intégrés en ambulatoire, en particulier dans des lieux où les tuteurs ont le temps d’avoir une pratique enseignante « centrée sur l'apprenant ». Des études randomisées sont toutefois nécessaires afin d’évaluer l’impact réel du terrain de stage sur le développement des compétences. En effet, il a déjà été montré que certains éléments, comme l'attrait précoce pour les soins primaires, jouent un rôle sur le développement de capacités telles que la tolérance à l’incertitude.

La réforme des diplômes d’études spécialisées en médecine offre selon nous des opportunités intéressantes de recherche et de réflexion dans ce domaine.

(Almost) forgetting to care: an unanticipated source of empathy loss in clerkship

(Presque) oublier de soigner : une source inattendue de perte d'empathie en stage d'externat, Holmes et al. (2017), Medical Education - par Mathieu LORENZO

La perte d’empathie chez les étudiants au cours des études médicales est un fait bien documenté. Il s'agit d'ailleurs d'une source majeure de préoccupation chez les responsables institutionnels. Alors que les recherches actuelles ne permettent pas de comprendre les causes de ce phénomène, une équipe canadienne a réalisé une étude qualitative consistant à interroger les étudiants à propos du curriculum caché.

Il en ressort que la transformation « routinière » de la prise en charge des patients, liée au passage d’un statut d’individu en souffrance à celui d'objet de travail du médecin, est un facteur explicatif important à la perte d'empathie. Cette évolution est concomitante au développement des compétences procédurales des futurs médecins, qui s'accompagne d'une préoccupation technique qui prend le pas sur le fait de "soigner". Un travail d’accompagnement des étudiants pour les inciter à réfléchir sur leur pratique et leur rôle de soignant pourrait être une piste permettant de lutter contre cette perte d’empathie.

Fatigue in residency education : understanding the influence of work hours regulations in Europe

La fatigue des internes: comprendre l'influence de la réglementation du temps de travail en Europe, Taryn et al. (2017), Academic Medicine - par Chloé DELACOUR

L’auteure principale de cet article est gynécologue, en formation postdoctorale en simulation à l’université d’Ottawa. Accompagnée d’une professeure canadienne et de deux professeurs néerlandais expérimentés en recherche qualitative, elle a réalisé une intéressante étude en théorisation ancrée sur la fatigue des internes en stage hospitalier. Elle s’est intéressée aux internes étudiant dans des pays européens appliquant des lois de régulation des horaires de travail.
L'objectif était d’explorer les éléments déterminant le vécu de la notion de fatigue par les internes. L'auteure principale est partie de son vécu personnel et de celui de ses co-investigateurs, ainsi que des nombreuses études dont les résultats montrent une stagnation du niveau de fatigue, malgré la mise en place de règles plus ou moins strictes de limitation des heures travaillées.
L'étude a mis en lumière la complexité de la relation des internes à la fatigue en général et à leur propre fatigue en particulier. Trois discours ont émergé : celui sur la sécurité du patient, celui du bien-être et celui de l’efficacité. Si la sécurité du patient est considérée comme primordiale et évoquée comme la raison principale d’une limitation des horaires, les internes critiquent l’impact de la régulation du travail sur la continuité des soins prodigués au patient. Ils ont donc tendance à se voir comme indispensables, et ne semblent pas appréhender l’intérêt d’un travail d’équipe coordonné. La notion de bien-être semble ambiguë pour les internes interrogés, la perte d’autonomie dans la gestion du temps de travail étant en balance avec l’apport de temps personnel, comme si celui-ci était une menace envers la culture professionnelle médicale qui sacralise le sacrifice et les longues heures de travail. Le dernier discours, celui sur l’efficacité, est moins présent dans la littérature antérieure. Il semble le reflet du climat actuel dans les soins qui exige toujours plus avec toujours moins de ressources. La nécessité d’être efficient se place alors en opposition avec celle d’être un soignant à l’écoute des patients et en apprentissage perpétuel, ce qui demande du temps.
La fatigue n’est donc pas seulement un sentiment (psychologique) ou une sensation (physique). Il s'agit d'un construit social complexe qui ne peut être résolu uniquement par des lois.

Twelve tips for medical students to make the best use of ward-based learning

Douze astuces pour que les étudiants en médecine tirent le meilleur parti de l'apprentissage en milieu de stage, Bharamgoudar et al. (2017), Medical Teacher - par Mathieu LORENZO


Les stages sont l’endroit idéal pour acquérir les compétences nécessaires à l’exercice des professions de santé. Reshma Bharamgoudar et Aniket Sonsale proposent dans l'une des revues de référence en éducation médicale douze stratégies pour aider les étudiants à tirer profit de leurs stages. 
Les auteurs conseillent notamment d’effectuer des lectures relatives au domaine concerné avant le début du stage. Ce bagage de connaissances va aider l’étudiant à mieux comprendre les prises en charge des patients et peut améliorer la motivation des soignants à assurer sa supervision.
Les auteurs insistent également sur l’utilité d’apprendre à connaître l’équipe soignante et son fonctionnement, en se présentant à chaque soignant et en essayant de se représenter le rôle qu'il joue dans la prise en charge des patients. Cela aura pour effet de permettre une meilleure intégration de l’étudiant à l’équipe en l’aidant à trouver sa place de professionnel de santé en devenir. 
Ce court article est utile pour guider les étudiants en stage en leur donnant un certain nombre de pistes leur permettant de profiter pleinement des opportunités d’apprentissage offertes par ce milieu.

Évaluation des apprentissages et sélection des étudiants

L’évaluation des compétences


The assessment burden in competency-based medical education: how programs are adapting, Szulewski et al. (2023), Academic Medicine

Rethinking the value proposition of assessment at a time of rapid development in generative artificial intelligence, Fawns et Schuwirth (2024), Medical Education

Validity evidence supporting clinical skills assessment by artificial intelligence compared with trained clinician raters, Johnsson et al. (2024), Medical Education

par Racha ONAISI


Avant tout, je souhaite commencer ce premier « Lu pour vous » de 2024 en vous présentant mes vœux de bonne santé, de bonheur et d’équilibre pour la nouvelle année, puisqu’après tout, ce sont les choses importantes de la vie, ne pensez-vous pas ? Mais aussi, et parce que cela reste la newsletter du CFRPS, tous mes vœux de joie évaluative, car l’évaluation est le sel de la formation. Et en lisant cette phrase, peut-être vous dites-vous que là, vraiment, c’est un vœu étrange, si ce n’est inadapté.

Et pourtant, à peine 2024 débuté, il est probable que les questionnements autour de l’évaluation des compétences ressurgissent de plus belle, notamment quant à la problématique de l’équilibre, et plus particulièrement de l’équilibre professionnel, que je vous ai souhaité dans les vœux introductifs. Sur ce plan, l’évaluation des compétences des étudiants est, il faut l’admettre, souvent perçue comme une empêcheuse de tourner en rond ; un poids, chronophage, complexe, difficile. C’est à ce poids que l’article de Szulewski et al. nous invite à réfléchir, à partir de l’expérience d’implémentation de l’approche par compétence dans leur institution. Leur approche est intéressante puisqu’elle s’inscrit dans une démarche d’implémentation, et se préoccupe d’abord de vérifier, à l’aide de cadres théoriques adaptés et de méthodes spécifiques, à quel point ce qui est fait correspond à ce qu’il était prévu de mettre en place, en impliquant l’ensemble des acteurs clés : enseignants cliniciens et universitaires, internes, responsables de programmes de spécialisation.

Et, je ne vous surprendrai pas avec cette information : LE sujet qui est revenu systématiquement sur la table, par tous les acteurs, en entretiens individuels et en focus groups était… le poids — que dis-je, le fardeau — de l’évaluation ! Cela n’est pas sans rappeler des discussions récurrentes au sein de mon équipe et avec d’autres équipes, et il en est probablement de même pour vous, autour du « comment faire pour que ce soit moins lourd, moins pénible et pourtant de qualité ? ». Depuis quelque temps, je parie que les points suivants sont aussi des sources de questionnements et de doutes quant à l’évaluation des étudiants : « en plus, avec ChatGPT et l’IA, est-ce que ça sert vraiment à quelque chose ? » et « ça va nous obliger à passer un temps fou à contrôler les étudiants et mettre des garde-fous, c’est pénible ! »… D’où les articles de Fawns et Schuwirth, et de Jonhsson et al., avec lesquels je vous propose de compléter ce temps de lecture.

Autour de trois principaux facteurs de pesanteur identifiés (hétérogénéité dans la compréhension des processus d’évaluation, défis de l’évaluation en milieu professionnel et défis liés à la synthèse des données en vue de produire un jugement évaluatif), Szulewski et al. ont identifié, à travers les entretiens individuels et de groupes, un ensemble d’adaptations mises en place. De façon très synthétique, la plupart de ces adaptations visent à clarifier les processus, à expliciter et à rendre plus facilement décelables les opportunités d’évaluation — tant pour les étudiants que les enseignants, et tant en milieu académique que sur les lieux de stage (avec des outils dédiés, notamment autour des activités professionnelles confiables) —, mais aussi à mieux intégrer les étudiants dans les comités d’évaluation des compétences, et à créer des espaces de discussion et d’échanges. Ces adaptations ont pour but de réduire la charge cognitive associée à l’évaluation, en allégeant autant que possible des charges « parasites » comme trouver du temps, rester vigilant pour ne pas manquer une opportunité d’évaluation, ou encore se questionner en permanence sur l’utilisation de telle ou telle échelle… Pour libérer l’espace mental permettant d’apporter ce qui est réellement attendu de l’évaluation dans l’approche par compétences : un feed-back soutenant des apprentissages.

Sur le plan du feed-back, Johnsson et al. apportent un éclairage sur comment, nous aussi, investir le champ — plus si émergeant et, surtout, galopant — de l’intelligence artificielle, en tant qu’évaluateurs ! Il s’agit d’abord de questionner nos attendus vis-à-vis des étudiants, notre approche de l’évaluation et notre capacité à former de futurs professionnels capables de manier les outils d’aujourd’hui qui révolutionnent l’avenir, comme nous y invitent Fawns et Schuwirth. Il est également nécessaire de nous interroger sur les conditions dans lesquelles l’IA pourrait devenir une ressource et, pourquoi pas, aider à alléger le fardeau évaluatif, sans sacrifier la qualité. Même si — spoiler alert — vous prévoyez de lire le détail de l’article, « somme toute, pas si simple… » serait une conclusion adéquate, ou encore « on n’a pas fini d’évaluer ! ».

L’approche de Johnsson et al. est intéressante et rigoureuse par la construction d’un protocole expérimental, mais aussi (et surtout ?) par le choix d’évaluer la stratégie évaluative à l’aide d’un cadre théorique d’analyse de la validité de l’interprétation des données d’évaluation, à savoir le modèle de Kane. Les auteurs retrouvent que, et c’était attendu, l’évaluation par des formateurs est plus globale et plus holistique. Les technologies actuelles d’IA ne permettent pas de reproduire ce modèle de raisonnement et de jugement évaluatif. En revanche, lorsqu’il s’agit, par exemple, d’évaluer une performance procédurale centrée sur la technique, l’IA est un outil potentiellement très pertinent quand elle est bien entraînée. Le feed-back offert par l’IA reste cependant très (trop) limité dans ce cadre. En revanche, l’IA discriminait au moins aussi bien les performances d’experts de celles des étudiants novices ou intermédiaires. À la lumière de ces résultats, pourquoi ne pas imaginer un futur d’évaluations hybrides, où certaines tâches évaluatives sont déléguées à l’IA pour permettre à l’évaluateur humain de concentrer son observation, son raisonnement et son jugement évaluatif sur les domaines où ses compétences n’ont pas d’équivalent artificiel, et d’enrichir ainsi les feed-back proposés aux étudiants ?

L’évaluation est un défi et un challenge. Elle questionne, interroge, bouscule et agace. Elle est complexe. Mais c’est ce qui la rend passionnante, en plus d’être importante, ne pensez-vous pas ? Alors, pour le mot de la fin, je me permets de vous souhaiter à nouveau une très belle année 2024, bien évidemment et avant tout sur les plans importants personnels et professionnels. Mais aussi, vous l’aurez compris, sur celui de l’évaluation !

Effet des grilles d'évaluation sur le jugement évaluatif : une étude randomisée contrôlée

The effects of rubrics on evaluative judgement: a randomized controlled experiment. Gyamfi et al. (2022), Assessment & Evaluation in Higher Education - par Racha ONAISI

La notion de jugement évaluatif renvoie à la capacité d’évaluer la qualité d’une performance (quelle que soit sa nature) par rapport à des critères ou à des standards, et de s’appuyer sur cette évaluation pour produire un jugement conduisant à une décision. Son développement serait primordial au développement de la démarche réflexive et de l’apprentissage auto-régulé.

Avec l'essor d’une approche que l’on peut qualifier de qualitative de l’évaluation, par opposition aux outils de quantification, les grilles d’évaluation sont considérées comme un moyen d’expliciter les critères de qualité attendus pour un ensemble de critères d’évaluation (permettant une évaluation tant formative que sommative) et d'enrichir la rétroaction. Des études ont permis de démontrer que les grilles, lorsqu’elles sont construites et implémentées de façon adéquate, sont fiables pour évaluer la performance, améliorant la fidélité.

La mise à disposition des grilles critériées auprès des étudiants, en explicitant les standards de qualité attendus pour une performance donnée, permettrait de développer et d'affiner leur jugement évaluatif. Quelques études appuient ce postulat.

Gyamfi et al. proposent, à travers une étude randomisée et contrôlée, de déterminer l’impact et la taille d’effet de l’utilisation des grilles d’évaluation sur la capacité des étudiants à évaluer la qualité de ressources pédagogiques produites par des pairs, via une méthode d’analyse mixte.

Dans le cadre d’un cours portant sur les bases de données, les étudiants devaient produire et déposer différentes ressources pédagogiques (questions à choix, prises de notes, création d’exemples, etc.), sur la plateforme de e-learning RiPPLE. Chaque ressource était évaluée par des pairs en aveugle, qui validaient ou pas sa mise à disposition pour l’ensemble de la promotion, et justifiaient leur décision par un commentaire écrit. Si la ressource n’était pas validée, l’étudiant l’ayant produite la retravaillait à l’aide du feedback et resoumettait son travail au même processus évaluatif.
Les participants étaient randomisés en simple aveugle en deux groupes : un groupe contrôle avec pour seule consigne de déterminer si la qualité de la production était suffisante pour une mise à disposition, et un groupe expérimental avec mise à disposition d’une grille critériée à compléter avant de décider si la qualité de la production était suffisante. Tous les étudiants devaient indiquer leur niveau de confiance dans l’évaluation qu’ils avaient portée.

Au final, il a été retrouvé que les étudiants du groupe expérimental attribuaient des scores plus élevés, l’une des hypothèses expliquant ce résultat étant que les critères de la grille étaient finalement peut-être plus simples que les critères implicites d’évaluation utilisés par les étudiants dans le groupe contrôle. Par ailleurs, l’accord inter-évaluateur était légèrement plus élevé dans le groupe expérimental, mais cette différence n’était pas statistiquement significative, contrairement à ce qui aurait pu être attendu, et la taille d’effet était faible. En revanche, bien que le niveau moyen de confiance dans le jugement porté était élevé dans les deux groupes, il était significativement supérieur dans le groupe expérimental.
L’analyse menée sur les commentaires écrits ne retrouvait pas de différence significative dans leur longueur : les étudiants utilisant la grille produisaient un feedback tout aussi détaillé que les autres. Par ailleurs, si les critères appliqués dans la grille étaient retrouvés, que ce soit dans un groupe ou dans l’autre, l’analyse thématique retrouvait aussi dans les deux groupes des critères non pris en compte par la grille d’évaluation, même si la fréquence de récurrence de ces critères pouvait varier selon les groupes. Ainsi, cela indique que malgré l’utilisation d’une grille, les étudiants se référaient à des critères correspondant à leur propre compréhension de ce qui fait la qualité d’une ressource pédagogique.

Que retenir de cette étude ? Les auteurs concluent que l’utilisation de grilles d’évaluation permet d’améliorer l’accord inter-évaluateurs ; il est à noter que, dans le cas présent, le résultat n’était pas statistiquement significatif. Était-ce du fait d’une expertise évaluative déjà élevée dans le groupe étudié, qui réduirait l’impact de la grille ? À un niveau de réflexivité élevé chez ces étudiants ? Ou bien, était-ce la construction de la grille d’évaluation qui constituait une limite ? En effet, sa construction et sa validation ne sont pas détaillées par les auteurs. Par ailleurs, les auteurs concluent que la grille impacte le jugement évaluatif, puisque les scores étaient plus élevés dans le groupe contrôle. Il est toutefois difficile de déterminer précisément, à partir de cette étude, dans quelle mesure et, surtout, comment, précisément, le jugement évaluatif est impacté. Notamment, qu’est-ce qui conduisait les étudiants utilisant la grille à articuler leur feedback autour d’autres critères ? Quelles pondérations attribuaient-ils aux critères explicites (grille) par rapport à leurs critères implicites ? Cela est certainement lié au choix méthodologique des auteurs, qui ne permet pas d’explorer ces questions pourtant centrales.

Si ce travail soulève pour moi plus de questions qu’il n’apporte de réponses, il souligne toutefois que le jugement évaluatif des étudiants peut être développé, mais aussi contribuer à l’élaboration de grilles d’évaluation critériées. Enfin, il appuie l’importance, lorsque l’on demande aux étudiants de s’auto-évaluer et de s’évaluer entre pairs, d’exiger un commentaire détaillant leur jugement, seule façon de déterminer les critères et standards auxquels ils se réfèrent, et si ceux-ci correspondent effectivement aux critères et standards définis par le référentiel de formation.

Prise de décision concernant le degré de confiabilité des activités professionnelles confiables : résultats d’une étude multicentrique

Entrustment Decision Making in the Core Entrustable Professional Activities: Results of a Multi-Institutional Study. Brown et al. (2022), Academic Medicine - par Racha ONAISI

Pour cette newsletter préestivale, coïncidant avec la période des partiels, examens et concours, quoi de plus adapté que de discuter évaluation ? 

La majorité des cursus en santé tend désormais à s’inscrire dans l’approche par compétences, y compris pour la phase dite « pré-graduée ». C’est d’ailleurs là l’intention, entre autres, de la réforme du deuxième cycle des études médicales, en cours de déploiement.

Si l’intention est affichée, l’implémentation effective de cette approche, notamment lorsqu’il s’agit d’alignement pédagogique en termes de dispositifs d’évaluation, reste un challenge (quand ce n’est pas seulement un vœu pieux). 

Les activités professionnelles confiables (ou EPA, pour « entrustable profesional activities ») ont été proposées comme une possible réponse à ce défi. Aux États-Unis, l’Association des Collèges de médecine a donc défini, dès 2013, un ensemble de 13 EPA dites « centrales » pour débuter l’équivalent de l’internat, quelle que soit la spécialité choisie. Ces EPA seraient la manifestation des compétences, et sont évaluées selon l’échelle suivante : prêt pour la supervision indirecte / En progression, mais pas encore prêt / Données ne montrant pas une progression vers la confiabilité. Dans le cadre de cette étude pilote, « Le comité n’a pas pu prendre de décision » était également une option de réponse possible. 

Cette modalité d’évaluation pour les étudiants « pré-gradués » est en cours d’implémentation et d’évaluation pilote dans plusieurs facultés. Quatre ont participé à cette première évaluation du dispositif, pour un ensemble de 349 étudiants. Dans chaque université, un comité d’évaluation formé aux EPA a été constitué, dont les modalités de fonctionnement étaient laissées au choix de chaque institution. Pour chaque étudiant ayant débuté en 2015, le comité s’est réuni en 2019, avant le début du programme d’internat, pour évaluer la confiabilité de ces EPA, en s’appuyant sur un ensemble de données recueillies au fil du temps selon une approche s’inscrivant dans les principes de l’évaluation programmatique. Cette dernière prévoit notamment la collecte au fil de l’eau, tout au long du curriculum, de données d’évaluation permettant de documenter la progression et le développement des compétences de chaque apprenant, analysées régulièrement et éventuellement complétées par des données d’évaluation ciblée supplémentaires, comme une multitude de pixels permettant d’obtenir la résolution la plus élevée possible de l’image vidéographique qui permettra la prise de décision concernant la certification. 

Les données de l'étude comportaient notamment des résultats d’évaluation en milieu professionnel (« workplace based assessment » ou WBA) guidée par l’étudiant (c’est-à-dire sur sollicitation du superviseur par l’étudiant), et, selon les universités, des résultats d’ECOS, des écrits narratifs, des évaluations de fin de stage, ou encore des activités de simulation. Pour ces 349 étudiants, 2 415 décisions au total ont été prises (entre 4 et 13 EPA évaluées par étudiant). Aucun résultat de WBA n’était disponible pour documenter l’EPA dans 64 % des cas, et seulement 10 % des décisions d’évaluation pouvaient s’appuyer sur plus de 10 résultats de WBA. La disponibilité de traces d’évaluations en milieu professionnel n’était pas homogène pour toutes les EPA, certaines étant très représentées (« prioriser un diagnostic différentiel après une rencontre clinique » et « présenter oralement une rencontre clinique ») quand d’autres l’étaient peu ou pas (« reconnaître un patient nécessitant un soin urgent et initier l’évaluation/prise en charge » ou encore « obtenir un consentement éclairé avant des examens et/ou procédures »). Pour 28 % des décisions (soit 685/2415), les comités d’évaluation ont estimé ne pas pouvoir prendre de décision. 

Qu’apporte cet article ? 

Avant tout, il documente de façon intéressante l’implémentation d’une innovation (ou, du moins, d’une novation) évaluative à grande échelle. Celle-ci s’inscrit dans le temps long : les auteurs rappellent que la phase pilote d’évaluation a débuté en 2015, que certaines universités « test » ont débuté en 2016, voire 2017, et qu’il s’agit d’un processus dynamique encore mouvant afin de répondre à des enjeux non seulement éducationnels (dans une perspective de pratiques éducatives fondées sur les données probantes), mais aussi tout simplement opérationnels, en termes d’outils numériques utilisés, par exemple. La généralisation et l’utilisation de ce dispositif pour prendre des décisions évaluatives à enjeux élevés ne se feront qu’après plusieurs années d’implémentation et d’évaluation dans une approche de recherche-action. 

Ensuite, s’il démontre que les universités ont réussi à implémenter et mettre en œuvre ce processus d’évaluation sur la base d’EPA pour la majorité des EPA, pour environ 1/3 des EPA à évaluer, aucune décision n’a pu être prise en raison de données d’évaluation insuffisantes. Ce résultat montre les défis soulevés pour mettre en œuvre une réelle évaluation programmatique. Des recherches comme celle présentée ici sont indispensables et permettent de documenter les scotomes du dispositif qui devront être corrigés ou constituer des points de vigilance. 

Par ailleurs, comme le soulignent bien les auteurs, la prise de décision concernant les EPA s’appuie majoritairement sur les évaluations en milieu professionnel. Or, dans cette étude pilote, la validité du dispositif de WBA reste peu ou pas documentée. Par ailleurs, cette modalité d’évaluation, dans le cadre d’une approche programmatique, nécessite un changement de culture des étudiants et des formateurs, tout en constituant un défi administratif et technique. Certaines prises de décision concernant les EPA s’appuyaient plutôt sur les autres outils d’évaluation (par exemple « réaliser une anamnèse et un examen physique » ou « rendre compte d’une rencontre clinique dans le dossier médical du patient »), notamment par manque de données issues du WBA. Cela soulève la question de l’alignement pédagogique : ces données de WBA manquent-elles, car les étudiants n’ont pas sollicité leurs superviseurs, ou bien parce que les stages, tels qu’organisés, et le rôle attendu des étudiants ne permettent pas réellement de développer et mettre en œuvre certaines compétences pourtant visées par le curriculum ? Cette question est par exemple posée pour l’EPA « identifier les erreurs de système et contribuer à une culture de sécurité et d’amélioration ».

Enfin, une des questions que ne soulèvent pas les chercheurs est l’articulation effective de ces EPA avec le concept de compétences. En effet, les EPA telles que formulées constituent des tâches observables, impliquant la mobilisation et la combinaison d’une variété de ressources ; toutefois elles ne s’inscrivent pas en lien avec les différentes familles de situation : comment juger alors de la transférabilité, au sein d’une même famille de situation et dans les différentes familles de situation ? Comment éviter de basculer dans une fragmentation de la compétence lors de l’évaluation ? Sans apporter de réponse univoque, la méthode mise en œuvre ici constitue une perspective intéressante et pertinente, visant à s’appuyer sur des comités d’évaluation formés interprétant un ensemble de données d’évaluation effectuées par des évaluateurs divers à des temps également divers, par différents outils d’évaluation. 

L’argumentation de la validité de ce dispositif à travers un cadre théorique identifié, tel que le modèle de Kane, pourrait également apporter des réponses utiles pour la communauté scientifique et les formateurs.   

Essai contrôlé randomisé sur l’accès des étudiants aux ressources lors d’un examen

Randomised controlled trial of students access to resources in an examination. Tweed et al. (2021), Medical Education - par Mathieu LORENZO

La pratique clinique des professionnels de santé autorise — et bien souvent encourage — l'usage des ressources externes pour améliorer la prise en charge des patients. Il peut s’agir d’outils en ligne d’aide à la décision clinique, de la consultation de recommandations de bonne pratique, ou encore d’ouvrages de référence. 

La majorité des examens évaluant les apprentissages des étudiants en sciences de la santé n’autorisent pourtant pas cet accès aux ressources. Cela pose un problème d’authenticité de ces évaluations, c’est-à-dire de proximité de la situation d’évaluation avec les véritables tâches qu’accomplissent les professionnels de santé dans leur exercice clinique. 

Une équipe de la faculté de médecine d’Otago (Nouvelle-Zélande) a comparé les résultats d’une épreuve de QCM dans des conditions classiques et d’une épreuve de QCM avec accès aux ressources en ligne. Les seuils de réussite à ces deux examens avaient été fixés selon la méthode d’Angoff modifiée : un panel d’expert a évalué, pour chaque question, le pourcentage d’étudiants minimalement compétents qui répondraient correctement. 

Le panel avait déterminé un seuil de réussite significativement plus élevé pour l’examen avec accès aux ressources (59 % versus 47 %). En conséquence, si les scores des étudiants étaient significativement plus élevés dans les conditions d’accès aux ressources (60 % versus 52 %), la proportion d’étudiants ayant réussi l’examen fut significativement plus faible (71 % versus 34 %) !

Les étudiants prenaient significativement plus de temps pour répondre aux questions dans les conditions d’accès aux ressources (57 minutes versus 52 minutes en moyenne). Enfin, les étudiants déclaraient que cette épreuve était davantage authentique grâce à l’accès aux ressources. 

Quels messages principaux retenir de cet article ? 

Premièrement, les examens avec accès aux ressources n’en deviennent pas pour autant « faciles » lorsque l’on détermine le seuil de réussite par des méthodes comme la méthode d’Angoff. 

Deuxièmement, ces examens pourraient être plus authentiques, et ainsi, favoriser le transfert des apprentissages de la salle de cours vers le milieu clinique.

Troisièmement, ces examens semblent nécessiter une préparation spécifique : une formation visant à trouver et analyser rapidement les ressources pertinentes, et un entraînement des étudiants à ce type d’examen. 

Enfin, ces examens avec accès aux ressources évaluent plus que la mémorisation de connaissances ou le raisonnement clinique : ils explorent la capacité des étudiants à trouver rapidement l’information pertinente, à l’évaluer et à l’appliquer à une situation clinique. 

Point de vue des apprenants et des évaluateurs sur les caractéristiques d'un jugement juste

Making it fair: Learners’ and assessors’ perspectives of the  attributes of fair judgement. Valentines et al. (2021), Medical Education - par Racha ONAISI

Le point de vue des apprenants et des évaluateurs sur les caractéristiques d’un jugement juste... ou autrement formulé par les auteurs : qu’est-ce qui rend un jugement humain « juste » ? 

Traditionnellement, la légitimité de l’évaluation repose sur des modèles de validité s’appuyant sur des indicateurs quantifiables, comme la validité de construit et la fidélité. Toutefois, l’approche par compétences est souvent vue comme opposée à ce paradigme d’évaluation traditionnel, qui a encore la part belle dans de nombreuses formations, du fait de l’objectivité perçue des évaluations basées sur une mesure. Objectivité qui s’oppose à la nature subjective du jugement humain dans l’évaluation, jugement pourtant central dans les stratégies d’évaluation des compétences, reposant sur une approche plus qualitative. Un frein important, tant du côté des évalués que des évaluateurs, est la crainte d’une évaluation qui deviendrait injuste.

Pourtant, alors que la justesse de l’évaluation est un point fondamental, il n’y a pas de consensus sur sa définition, probablement du fait que ce concept est complexe et ne saurait être facilement résumé en une phrase. Les auteurs de l'article citent un modèle théorique issu d’une revue systématique de la littérature, qui a permis d'identifier que la justesse de l’évaluation pouvait être conceptualisée à travers des valeurs (crédibilité - tant du jugement que de l’évaluateur-, transparence, défendabilité, évaluation adaptée aux objectifs), supportées sur un plan individuel par des caractéristiques propres à un jugement humain juste (narratif - c’est-à-dire décrit et argumenté afin de favoriser la réflexivité et la bonne compréhension par l’apprenant -, limites claires, souplesse et argumentation), et sur un plan systémique par des procédures (justesse des procédure, documentation, opportunités multiples d’évaluation, mais aussi évaluateurs multiples et preuves de validité).

Toutefois, les auteurs soulignent que ce modèle nécessite encore d’être exploré et démontré dans la pratique. Pour approfondir la réponse à la question fondamentale « Quelles sont les caractéristiques d’un jugement juste, équitable ? » et vérifier si la perception de la justesse sur le terrain est similaire au modèle issu de la littérature, les auteurs ont mené une étude qualitative par entretiens semi-dirigés auprès d’étudiants et de superviseurs, en s’appuyant sur des vignettes authentiques d’évaluation.

L’analyse des verbatim a fait émerger trois grands thèmes en lien avec la justesse de l’évaluation : caractéristiques individuelles, facteurs systémiques, environnement et culture évaluative. Les résultats viennent appuyer le modèle théorique issu de la revue de la littérature, tout en l’affinant. Ainsi, les caractéristiques d’un jugement juste ne sont pas seulement empilées : elles sont intriquées. Par exemple, l’expertise et l'« agilité » de l’évaluateur sont essentielles pour fournir une rétroaction détaillée, et prendre en compte et interpréter l’ensemble des preuves disponibles, rechercher celles qui manqueraient, et en réaliser une interprétation dans les limites prévues par le dispositif évaluatif. À l’échelle systémique, des évaluateurs multiples, évaluant à l’occasion de multiples opportunités, ainsi qu'une documentation régulière de la progression des étudiants, sont des conditions permettant d’augmenter la justesse de l’évaluation. Enfin, cette étude apporte des éléments relatifs au rôle de l’environnement, peu abordé dans le modèle théorique. La culture évaluative et la prise en compte de l’impact sur les patients, les collègues et la communauté en général, étaient des thèmes importants.

Au final, que nous apporte ce travail ? Tout en rappelant que l’évaluation juste des compétences est intrinsèquement complexe, il renforce l’importance de principes fondamentaux pour tendre vers cette justesse, qui n’est pas incompatible avec un rôle central du jugement évaluatif humain lorsque les conditions sont réunies. Alignement pédagogique, logique vidéographique de l’évaluation (ce qui implique des évaluations multiples et la prise en compte du parcours et de la progression de chaque étudiant), place centrale de la rétroaction construite et constructive, transparence concernant les attentes et objectifs de la formation, et, surtout, expertise évaluative permettant de recueillir et d'interpréter les preuves sont des éléments fondamentaux pour améliorer l’acceptabilité d’un dispositif évaluatif laissant la place à la subjectivité liée au jugement humain. Le corollaire est que les disparités de jugement ne sont pas forcément injustes tant que chaque évaluateur a suffisamment d’expertise pour apporter une vision juste et de valeur. Autrement formulé, la somme des subjectivités peut permettre, lorsque les diverses conditions présentées ici sont réunies, de tendre vers l’objectivité.

L'évaluation basée sur les activités professionnelles confiables : les défis des enseignants-cliniciens lors de la transition vers une échelle prospective de supervision

EPA-based assessment: Clinical teachers’ challenges when transitioning to a prospective entrustment-supervision scale. Postmes et al. (2021), Medical Teacher - par Mathieu LORENZO

Les activités professionnelles confiables (APC) sont définies comme des unités de pratique professionnelle essentielles pour les soignants (par exemple, réaliser l'anamnèse d’un patient ou effectuer un examen physique). Dans les stages, les enseignants-cliniciens évaluent au quotidien le degré de supervision dont un étudiant a besoin et son aptitude à participer aux soins en toute sécurité.

Les échelles d’APC rétrospectives évaluent le niveau de supervision requis par un étudiant dans une APC, à l’issue d’une observation de sa prise en charge d'un patient. Voici les niveaux habituellement utilisés dans ces échelles : 

  1. « J’ai dû exécuter la tâche »
  2. « J’ai dû le guider »
  3. « J’ai dû le guider de temps en temps »
  4. « Je devais être sur place au cas où »
  5. « Je n’avais pas à être présent »

A l’inverse, les échelles prospectives d’APC impliquent d’évaluer le niveau de supervision requis pour un étudiant dans le cadre d'une future interaction avec un patient. Dans l’article présenté ici, l’échelle comportait sept niveaux de supervision : 

  • Présence autorisée, pas de participation à l’APC
  • Supervision directe
    • APC réalisée en co-activité avec l’enseignant
    • APC réalisée par l’étudiant pendant que l’enseignant est physiquement présent dans la pièce
  • Supervision indirecte : l'enseignant est présent sur le lieu de travail et immédiatement disponible
    • Discussion et vérification juste avant et/ou juste après l'activité. L'enseignant répète les aspects principaux de l'activité
    • Discussion et vérification de l'essentiel juste avant et/ou juste après l'activité. Les éléments clés et les décisions sont vérifiés
    • Les éléments clés sont discutés au moment choisi par l'étudiant. La vérification n'a lieu que si l'étudiant le souhaite.
  • Supervision limitée : l'enseignant n'est disponible qu'à distance (par exemple, au téléphone)

Une équipe européenne a réalisé un travail visant à comprendre comment les enseignants cliniciens utilisaient une échelle prospective d’APC et leurs éventuelles difficultés avec des étudiants en médecine de deuxième cycle (c'est-à-dire, prégradués), après avoir bénéficié d'une rapide formation.

Malgré la nature à priori plutôt intuitive des items de cette échelle prospective d'APC, les participants éprouvaient des difficultés dans leur interprétation de l'outil. Plusieurs utilisaient l'échelle de manière rétrospective, en contradiction avec son but. Les auteurs insistent sur l'importance de la formation des évaluateurs à l'utilisation d'un tel outil. Ils soulignent que l'évaluation prospective demande un jugement bien différent des évaluations rétrospectives.

Dans la perspective de davantage utiliser les échelles d'APC dans les cursus de formation des professionnels de santé et, en particulier, dans le deuxième cycle des études de médecine, ce travail nous apporte des éléments de réflexion utiles. L'engouement croissant autour des échelles d'APC ne doit pas conduire à négliger la formation des évaluateurs, malgré l'apparente simplicité de ces outils. 

L'utilisation des réseaux bayésiens pour soutenir les décisions des commissions pédagogiques dans l'évaluation programmatique

The potential use of Bayesian Networks to support committee decisions in programmatic assessment. Zoanetti et al. (2021), Medical Education - par Mathieu LORENZO

Le principe fondamental de l’évaluation programmatique est de considérer l’ensemble des données disponibles sur les compétences d’un étudiant pour prendre les décisions concernant sa progression ou sa certification. Les données, provenant de multiples sources (par exemple, la supervision en stage et les évaluations hors stage), sont accumulées et triangulées afin de documenter la décision des membres des commissions pédagogiques. Assurer une constance et garantir l’équité dans ces décisions sont des défis. Dans ce contexte, Nathan Zoanetti et Jacob Pearce proposent de recourir à des réseaux bayésiens afin d’aider les commissions à prendre des décisions.

Les réseaux bayésiens sont des modèles probabilistes graphiques fréquemment utilisés pour raisonner en situation d’incertitude. En simplifiant, il s’agirait par exemple de déterminer la probabilité a posteriori qu’un étudiant soit suffisamment compétent pour être diplômé sur la base des données d’évaluation. Ainsi, lorsqu'un étudiant est évalué en stage sur ses capacités à communiquer « au-delà du niveau attendu », la probabilité qu’il soit suffisamment compétent pour être diplômé sur la base de cette donnée unique pourrait être estimée à 80 %. Si, en plus, cet étudiant a eu d’excellents scores aux ECOS portant sur la communication et qu’il a démontré une grande aisance dans la communication lors d’ateliers de formation, la probabilité qu’il soit suffisamment compétent pour être diplômé passerait à 95 %. A l’inverse, des discordances entre les évaluations en stage et aux ECOS seraient de nature à diminuer la probabilité que cet étudiant soit suffisamment compétent en communication pour être diplômé.

Comme l'écrivent les auteurs eux-mêmes, cette proposition relève en grande partie d’une vision post-positiviste et d’une perspective psychométrique de l’évaluation. Des tensions importantes existent entre une approche numérique (mathématique) de l’évaluation, qui serait « objective », et l'approche qualitative (proposée dans l’approche par compétence), qui serait trop « subjective ». La faisabilité d’une telle approche est également à questionner, car rares sont les personnes capables d’élaborer des tels réseaux dans les institutions de formation des professionnels de santé. Enfin, l’effet sur les apprentissages de l’adoption de réseaux bayésiens pour certifier les compétences reste à documenter.

Ce que les enseignants écrivent et ce que les étudiants voient. Réflexions sur les QCM à partir de la taxonomie de Bloom 

What faculty write versus what students see? Perspectives on multiple-choice questions using Bloom’s taxonomy. Monrad et al. (2021), Medical Teacher - par Mathieu LORENZO

Le contenu de la formation des professionnels de santé et les évaluations proposées devraient favoriser le développement du raisonnement clinique. Pour y parvenir, les enseignants utilisent souvent la taxonomie révisée de Bloom afin de guider leurs choix en matière d'ingénierie de formation. Cette taxonomie se présente sous une forme hiérarchique en fonction de la complexité de la tâche. Par exemple, une tâche demandant aux étudiants d’analyser une situation clinique est plus élaborée et complexe (un processus de plus haut niveau) qu’un rappel « par cœur » d’un contenu de cours. 

Alors que dans de nombreux contextes de formation, les enseignants tentent de créer des questions à choix multiples (QCM) visant à explorer des processus de haut niveau selon la taxonomie de Bloom, une équipe étasunienne a publié une étude sur la perception des étudiants quant aux niveaux de Bloom explorés par des QCM. Un groupe d'enseignants a rédigé 25 QCM. Certains visaient spécifiquement des processus de bas niveau (comme « comprendre » ou « mémoriser »), et d’autres, des processus de haut niveau (comme « appliquer » ou « analyser »). Un groupe d’étudiants a dû associer chaque QCM à un niveau de la taxonomie de Bloom, selon leur perception. 

Seuls 63 % des QCM étaient classés de la même façon entre le groupe d'enseignants et d'étudiants. La concordance entre les évaluations des groupes était faible (Kappa de Cohen moyen = 0,256). 

Ce travail questionne la pertinence de l’utilisation de la taxonomie de Bloom pour créer des QCM de « haut niveau », visant à favoriser le développement du raisonnement clinique, puisque les étudiants perçoivent souvent bien différemment la tâche demandée. Les auteurs discutent de l’impact du contenu des enseignements sur la manière dont les étudiants apprennent. Certaines stratégies favorisent les apprentissages de surface et rendent ainsi plus difficiles les questions explorant des processus de niveaux élevés. Les auteurs soulignent aussi qu’il subsiste potentiellement - malgré leurs précautions - une confusion entre le caractère bas/haut niveau et le caractère facile/difficile des QCM. 

Ce travail est intéressant pour rappeler que la validité d’une évaluation doit être documentée, en répondant à la question suivante : évalue-t-on réellement ce que l’on souhaite évaluer ? Cette démarche sera particulièrement importante dans le cadre d’évaluations à forts enjeux, comme l’examen dématérialisé national des connaissances, prévu dans le cadre de la réforme du deuxième cycle des études de médecine en France.

Les questions à réponse unique "meilleure option" - conseils d'écriture à destination des cliniciens 

Single best answer question - writing tips for clinicians. Walsh et al. (2017), Postgraduate Medical Journal - par Mathieu LORENZO

Les questions à réponse unique (QRU) "meilleure option" (en anglais "single best answer") ont remplacé les questions à choix multiple (QCM) vrai/faux depuis quelques années dans les examens des facultés de médecine nord-américaines. Dans les QCM vrai/faux classiques, l’étudiant doit sélectionner la ou les bonnes réponses parmi une liste de propositions. Certaines des options de réponses sont fausses (ce sont les "distracteurs"). Ce type de question ne reflète pas l’incertitude dans les soins et ne favorise pas le développement du raisonnement clinique.

Partant de ce constat, les QRU "meilleure option" imposent à l’étudiant de sélectionner la "meilleure" option parmi une liste de propositions vraisemblables. On parle de "propositions vraisemblables", car l’accent est mis ici sur le caractère plausible, pour un clinicien, de tous les distracteurs. La notation de ces questions est binaire : la "meilleure" réponse vaut un point. Il n'est pas accordé de points pour les autres réponses. 

Un article, publié en 2017 dans une revue du groupe BMJ, proposait des conseils pour créer des QRU "meilleure option". A l’heure où ce format est annoncé comme faisant partie des modalités d’évaluation des apprentissages dans le cadre de la réforme du 2e cycle des études de médecine en France, il semble intéressant de reprendre certains points. 

Voici tout d’abord un exemple de QRU "meilleure option" : une patiente de 67 ans se présente à votre cabinet en début d’après-midi, car elle a fait un malaise dans la matinée. Elle est habituellement suivie pour un diabète traité par metformine et une hypertension artérielle traitée par amlodipine. Elle semble avoir perdu brièvement connaissance, d’après son époux. Elle se plaint de difficultés à mobiliser sa jambe gauche depuis son malaise. Elle trouve que sa jambe est moins sensible. Quelle est l’hypothèse diagnostique la plus probable concernant les difficultés de la patiente à mobiliser sa jambe gauche ?

1. Un accident vasculaire cérébral 

2. Une fracture du col fémoral gauche

3. Une ischémie aiguë du membre inférieur gauche

4. Une compression médullaire lombaire


Les questions doivent être rédigées à deux ou trois experts du domaine pour arriver à un consensus sur ce qui constitue la "meilleure option". Les stratégies de réponse habituelles aux questions à choix, utilisées par les étudiants, doivent être prises en compte. Elles impliquent en particulier les mesures suivantes : randomiser la position de la bonne réponse, homogénéiser la longueur des réponses, et prêter attention aux indices sémantiques. Par ailleurs, les mêmes conseils s’appliquent aux énoncés des QRU "meilleure option" qu’aux vignettes de cas clinique. Il s'agit notamment de présenter les données en langage courant : "température à 39,3°C" plutôt que "hyperthermie à 39,3°C", "sa jambe droite est moins sensible" plutôt que "hypoesthésie du membre inférieur droit".  Il est à noter que les Anglo-saxons n’utilisent pas, pour ces examens QRU "meilleure option", un seuil de réussite standard (par exemple, 10/20). C’est par un consensus d’expert portant sur les performances attendues des étudiants minimalement compétents qu’est calculé le seuil de réussite (méthode d’Angoff modifiée). 

L'équité du jugement humain dans l'évaluation : une revue herméneutique de la littérature et un cadre conceptuel

Fairness in human judgement in assessment: a hermeneutic literature review and conceptual framework. Valentine et al. (2020), Advances in Health Sciences Education - par Mathieu LORENZO

Le « manque d’objectivité » du jugement humain est fréquemment critiqué lors des évaluations en milieu professionnel (les évaluations des étudiants en stage). Alors que de nombreuses propositions ont été testées, dans la littérature, pour réduire cette « subjectivité », de plus en plus de voix s’élèvent en éducation médicale pour suggérer une autre approche.

Dans le cadre d'une revue de la littérature sur le sujet, Valentine et ses collaborateurs nous invitent à considérer la question de la subjectivité sous l’angle de de la « justesse » dans le jugement humain. Cette question complexe du jugement « juste » est discutée sous les angles de différentes valeurs, qui interagissent entre elles : la crédibilité, la défendabilité, la transparence et l’adéquation avec l’objectif. La crédibilité renvoie par exemple à la fois à la crédibilité du jugement porté sur un étudiant par un évaluateur, et à la crédibilité de l'évaluateur lui-même. Cette dernière semble dans la littérature être notamment liée à son engagement dans la formation. Ainsi, un superviseur qui manifeste peu d'intérêt pour l'accompagnement des étudiants en stage sera jugé comme peu crédible - et, in fine, peu juste - dans son jugement. Les auteurs notent également que ce jugement « juste » est fonction des caractéristiques personnelles de l’évaluateur, dont son expertise. Enfin, les auteurs ont identifié des facteurs systémiques - dont la multiplicité des évaluations et des évaluateurs - comme des composantes importantes de la « justesse » du jugement.

Ces réflexions et le modèle théorique proposés par les auteurs nous invitent à considérer sous un angle novateur la question de la subjectivité dans l’évaluation. Appliqués au contexte français, des conseils pratiques peuvent en être formulés. Par exemple, dans le cadre de la réforme du 2e cycle des études médicales (R2C), les évaluateurs pourraient rédiger des commentaires narratifs relatifs aux compétences des étudiants. En pratique, il s'agit d'écrire une description détaillée de la performance de l’étudiant dans une situation de soins, en décrivant le contexte de cette situation, ce qui a été bien fait, ce qui aurait dû être fait autrement, etc. L’utilisation de ces commentaires narratifs augmentera la crédibilité des jugements portés sur l’étudiant, leur défendabilité, leur transparence et l’adéquation de ceux-ci avec l’objectif de certification des compétences.

Faire entrer les ECOS dans le 21e siècle : pourquoi l'accès à un internet est-il une condition de la validité de l'évaluation ?

Bringing OSCEs into the 21st century: Why internet access is a requirement for assessment validity. Shand (2020), Medical Teacher - par Mathieu LORENZO

En consultation ou dans leur pratique hospitalière, la majorité des médecins utilise quotidiennement des ressources disponibles en ligne, qui ont prouvé leur utilité pour la prise en charge des patients. Pourtant, les modalités d’évaluation des apprentissages en médecine favorisent la mémorisation « par cœur », en opposition avec ces constats. C’est notamment le cas des examens cliniques objectifs et structurés (ECOS), qui seront prochainement déployés pour évaluer et sélectionner les étudiants dans le cadre de la réforme du deuxième cycle des études médicales, en France.

Dans une tribune récente signée dans la revue Medical Teacher, George Shand argumente l’utilisation des évaluations cliniques avec accès aux ressources, qu'il nomme "ECAS". Celles-ci sont calquées sur le modèle des ECOS, à la différence près que les étudiants disposent  - comme dans la vraie vie - d’une connexion internet, et peuvent ainsi utiliser les ressources en ligne durant l’examen. Ces ECAS évaluent alors la capacité des étudiants à trouver rapidement les informations pertinentes à la situation clinique et à les incorporer à leur prise en charge. L’évaluation est ainsi centrée sur les compétences de l’étudiant, et non sur la mémorisation pure. 

Cette tribune invite à réfléchir aux modalités relatives aux ECOS en médecine. Il semble utile de se rapprocher le plus possible de la pratique réelle des médecins (afin de s'inscrire dans le cadre d'une évaluation en contexte le plus authentique possible) pour s’assurer que cette évaluation soit valide, et que ce que nous observons dans les ECOS soit le plus proche possible de ce qui se passerait dans la « vraie vie ». 

L'échec à faire échouer en sciences infirmières. Juste une formule ou un vrai problème ? Une revue systématique et intégrative de la littérature

‘Failure to fail’ in nursing. A catch phrase or a real issue? A systematic integrative literature review. Hughes et al. (2019), Nurse Education in Practice - par Mathieu LORENZO

En éducation médicale, le concept de « failure to fail » renvoie à la validation d'un stage ou d’une année de formation chez un étudiant qui ne remplit pas les critères attendus en termes de compétences cliniques. Ce sont alors les enseignants, les tuteurs, les responsables de stage ou les décideurs institutionnels qui « échouent à faire échouer » un étudiant.

Comme le montrent les données de la littérature, les invalidations pour insuffisance clinique sont rares, même pour des étudiants ayant une pratique inadaptée. Une équipe australienne a récemment conduit une revue de la littérature sur ce concept « d’échouer à faire échouer », dans le domaine des soins infirmiers. Il en ressort qu'il s'agit également d'une réalité dans la formation des infirmiers. Faire échouer un étudiant est difficile pour les évaluateurs et relève d’un processus émotionnel souvent complexe ("J'ai envie que cet étudiant réussisse"). Le fait de devoir faire échouer un étudiant remet en outre implicitement en cause la compétence des évaluateurs à évaluer correctement les compétences de l’étudiant ("Mon évaluation de son insuffisance clinique est-elle correcte ?"). Le soutien de l’institution aux décisions des évaluateurs est donc fondamental dans une telle situation, pour invalider un étudiant. 

Cette revue de la littérature apporte des éléments de réflexion susceptibles d'intéresser toutes les disciplines de la santé. La responsabilité sociale des institutions est de diplômer des professionnels compétents. Ces étudiants en insuffisance clinique doivent être invalidés au regard de cette responsabilité sociale, mais également pour bénéficier d’un accompagnement spécifique et adapté à leurs difficultés. Cet article souligne enfin le rôle fondamental des évaluateurs en stage. Ils sont le maillon central de l’évaluation des compétences des futurs professionnels de santé. 

Exploration des expériences de socialisation des étudiants en médecine issus des filières de sciences humaines et sociales

Exploring the socialization experiences of medical students from social science and humanities background. Justin et al. (2019), Academic Medicine - par Racha ONAISI

Dans la pratique médicale, un sentiment de perte d’empathie a émergé, tant en France qu’en Amérique du Nord, souvent associé, au moins en partie, à la place prépondérante accordée à l’apprentissage des sciences biomédicales (parfois dites "fondamentales"), durant la phase préclinique du curriculum. Dans plusieurs pays, l’une des réponses proposées a été l’ouverture du cursus médical à des étudiants issus d’autres filières universitaires, notamment dans le champ des sciences humaines et sociales (SHS). La réforme en cours de la PACES, qui prévoit le système dit des « mineures santé », en est un exemple. 

Lam et al. ont analysé les facteurs structurels, culturels et interpersonnels appartenant au curriculum caché et pouvant impacter l’intégration, dans le cursus médical préclinique, d’étudiants issus de ces filières. Réalisée auprès de 14 étudiants de l’Université de Toronto, cette étude qualitative pointe notamment un sentiment de dévalorisation des apprentissages réalisés en SHS, tant par les pairs que par les enseignants, et même, intrinsèquement, par l’organisation du curriculum, puisque contrairement aux enseignements en lien avec les contenus biomédicaux, ceux liés aux SHS étaient souvent facultatifs et/ou programmés à des horaires peu attractifs. Pourtant, bien que ces étudiants soient conscients du profil idéalement très scientifique des candidats aux études de médecine (le fameux trépied "mathématiques, physique-chimie et sciences de la vie et de la terre"), leur bagage en SHS apparaissait plus facilement comme un facteur de différenciation positif, lors du processus d’admission.

Ce sentiment de dévalorisation des compétences acquises par ces étudiants en SHS allait jusqu’à entraîner un mécanisme d’autocensure, tant pour poser des questions en cours que pour montrer leur intérêt et apporter leur expertise en SHS sur un sujet. Une autre stratégie utilisée pour s’intégrer consistait à adapter son comportement selon le contexte, conduisant les étudiants à construire une identité professionnelle « officielle », où l’intérêt pour les SHS n’apparaissait pas, et une identité professionnelle « officieuse », révélée uniquement en contexte sécurisant, et qui intégrait quant à elle le bagage SHS dont ces étudiants restaient convaincus de l’intérêt et des apports bénéfiques pour la construction de leur identité en tant que médecin, au risque d’entraîner d’importants conflits identitaires et une souffrance.

Cet éclairage souligne l’importance de ne pas se contenter de faire entrer un plus grand nombre d'étudiants issus de filières ancrées dans les sciences dites « molles », en espérant que, par un mécanisme d’infusion, ils amélioreront l’empathie des étudiants formés dans les sciences dites « dures ». Il est indispensable de donner une place réelle aux sciences humaines et sociales comme partie intégrante de la culture institutionnelle. Cela commence peut-être par changer notre vocabulaire et arrêter d’opposer des sciences soi-disant « dures » à celles moins souvent associées à des chiffres, et par conséquent, considérées par certains avec méfiance quant à leur légitimité ?

Quelles sont les caractéristiques des étudiants qui réussissent leur externat avec les félicitations ?

Which student characteristics are most important in determining clinical honors in clerkships ? Herrera et al. (2019), Academic Medicine - par Racha ONAISI

La réforme du deuxième cycle des études médicales en France prévoit la suppression des épreuves classantes nationales (ECNi) à partir de 2023. Il s’agit d’une véritable révolution dans la procédure de répartition des étudiants dans les différentes spécialités et subdivisions, qui relèvera d’une procédure de matching, à l’image de ce qui existe déjà aux États-Unis, où les externes postulent directement auprès des hôpitaux et universités pour les postes d'internes. L’objectif de la réforme est de réduire le poids de l’évaluation des connaissances pour tendre vers une approche par compétences et valoriser le parcours, le projet professionnel, ainsi que les qualités professionnelles des étudiants.   

La question de la sélection d’un dossier plutôt qu’un autre pour un même poste n’est pas dénuée d’écueils : comment choisir le meilleur profil pour un poste tout en préservant l’égalité des chances entre des étudiants issus de différentes facultés, et donc, pas forcément évalués de la même manière ?  

Herrera et al. proposent des pistes de réflexion. En interrogeant les pratiques évaluatives d’enseignants cliniciens (c’est-à-dire ceux qui suivent les étudiants au lit du malade) et, plus particulièrement, les critères qu’ils prennent en compte pour attribuer des félicitations et/ou les meilleures notes, les auteurs ont montré que cinq caractéristiques sont particulièrement discriminantes. Par ordre décroissant, il s’agit de l’investissement actif de l’étudiant, du raisonnement clinique, de l’apprentissage autodirigé, de la fiabilité, et des principes éthiques forts.

Il est intéressant de noter qu’il s’agit majoritairement de caractéristiques souvent considérées comme innées ou naturelles, et par conséquent, rarement mises au centre des enseignements. Leur évaluation est de surcroît difficile avec les outils habituellement utilisés, notamment les QCM. De plus, dans de nombreuses facultés américaines, les résultats à l’examen national des connaissances ne sont pas du tout pris en compte par l’enseignant évaluateur pour accorder une distinction aux étudiants les plus performants, puisque les résultats ne lui sont que rarement accessibles.  

Il s’agit d’une démarche intéressante pour préparer la mise en place du matching en France et tenter, dès maintenant, d’homogénéiser les pratiques et de clarifier auprès des étudiants les attentes des enseignants concernant les critères de sélection discriminants, ce qui permettrait aussi de favoriser leur développement chez les étudiants.

Les scores d’un test d'évaluation du professionnalisme (P-MEX) peuvent-ils prédire les performances des internes ? Une étude de validité sur cinq cohortes longitudinales

Can Professionalism Mini-Evaluation Exercise Scores Predict Medical Residency Performance? Validity Evidence Across Five Longitudinal Cohort, Nadya et al. (2019), Academic Medicine - par Mathieu LORENZO

La sélection à l’entrée des cursus en sciences de la santé devrait idéalement favoriser les étudiants qui seront les plus compétents dans leur exercice ultérieur. Cela réfère à la validité prédictive d’un tel processus d’évaluation. C’est notamment le cas en médecine, dans les pays qui pratiquent un système de « matching » à l’entrée de l’internat : les candidats à un diplôme de cardiologue, par exemple, postulent dans plusieurs universités ou hôpitaux.

Considérant le professionnalisme comme l'une des principales compétences exigées chez les futurs professionnels de santé, une équipe des universités de Genève et de Chicago a testé la validité prédictive de l’évaluation du professionnalisme lors de la sélection des candidats à un internat de pédiatrie. Ils ont utilisé un outil validé en langue anglaise : le P-MEX (professionalism mini-evaluation exercice). Il s'agit d'une grille d’observation critériée composée de 21 items (parmi lesquels « Sollicite du feed-back » et « Montre du respect pour ses collègues »). Le professionnalisme des candidats a été évalué à partir d’interactions avec des patients simulés. Les scores de P-MEX ont été comparés aux évaluations des étudiants en stage sur les années suivantes. 

Les résultats montrent une validité prédictive intéressante du P-MEX quant à la performance ultérieure des candidats. Ce travail appelle plusieurs commentaires et questions.

  • D'abord, quelle est la faisabilité d’une telle démarche dans nos contextes de formations respectifs ? Les auteurs proposent d’utiliser six patients simulés avec deux évaluateurs différents. Cette procédure est de ce fait très consommatrice en temps et en ressources humaines, et probablement peu adaptée, de ce fait, à de larges effectifs.
  • Ensuite, le fait d’évaluer le professionnalisme dès l’entrée dans une formation envoie un message fort : c’est une exigence de l’institution envers les candidats. Adopter une telle démarche pourrait donc être de nature à favoriser le développement du professionnalisme chez les étudiants.
  • Enfin, le P-MEX ne dispose pas d’une version francophone validée à ce jour. Il pourrait être intéressant de travailler à la validation d'un tel outil en langue française.

Le feedback multisource pour recertifier les médecins en Australie : résultats d'une étude préliminaire

Multisource feedback as part of the Medical Board of Australia’s Professional Performance Framework: outcomes from a preliminary study, Narayanan et al. (2018), BMC Medical Education - par Mathieu LORENZO

Le courant de l’évaluation à 360° (ou feedback multisource) postule qu’il faut multiplier les sources d’évaluation et de feedback pour refléter au mieux la performance des professionnels de santé. Dans le cadre de la procédure de recertification des médecins en Australie, deux questionnaires d’évaluation de la performance sur une consultation sont utilisés à cet effet depuis plusieurs années. Un des questionnaires est complété en auto-évaluation par le médecin puis en hétéro-évaluation par le patient. Un second questionnaire est complété en auto-évaluation par le médecin et en hétéro-évaluation par un pair.

Une équipe australienne et néo-zélandaise a cherché à tester les corrélations entre les scores de ces questionnaires en auto-évaluation, les scores résultant de l'évaluation par les patients et les scores d'évaluation par les pairs. Leurs résultats, publiés ce mois-ci dans la revue BMC Medical Education, montrent des corrélations statistiques faibles, mais significatives entre les scores d'auto et d'hétéro-évaluation (par les patients et par les paris). Les auteurs concluent qu’utiliser ces multiples sources lors d’une évaluation de performance permet d’aider les médecins à identifier les domaines de leur pratique à améliorer.

Cette démarche de recherche vient confirmer l’intérêt des évaluations à 360° dans le champ de l’évaluation des professionnels de santé. A l’heure de la réforme du deuxième cycle des études de médecine, en France, et de la généralisation des approches par compétences dans les études de santé, elle pourrait devenir une des bases du futur dispositif d’évaluation.

Le pouvoir de la subjectivité dans l'évaluation des étudiants en médecine

The Power of subjectivity in the assessment of medical trainees, Ten Cate et al. (2018), Academic Medicine - par Elodie HERNANDEZ

L’objectivité s'est imposée comme un élément incontournable dans nos formations et dans les évaluations depuis plusieurs dizaines d’années. Cet article apporte une réflexion importante sur la place donnée à l’objectivité et à la subjectivité dans notre quotidien d’enseignants-évaluateurs.

Les QCM sont le prototype de l'outil créé pour évaluer les connaissances de façon objective (même si cette objectivité n'est qu'une illusion, comme le soulignent Ten Cate et al.). L’évaluation en milieu clinique est plus complexe et nous sommes souvent à la recherche de grilles d’évaluation et de critères afin de la rendre "objective".

La recherche d’objectivité est-elle légitime en stage ? Ten Cate et al. se posent la question dans leur article, dans la mesure où les soignants-évaluateurs sont forcément subjectifs et que les compétences que l’on souhaite évaluer sont par définition liées à une situation spécifique. Elles ne peuvent être jugées de façon décontextualisée. Dans ce cadre évaluatif liant une situation clinique unique et spécifique, un étudiant unique et un évaluateur, peut-on, doit-on chercher à supprimer toute forme de subjectivité ? Les auteurs suggèrent au contraire et à l'encontre de nombreuses représentations qu’elle serait le cœur de l’évaluation.

Ten Cate et al. développent le "pouvoir de la subjectivité" en trois parties :

  • Le mythe de l’objectivité, avec ses failles lorsqu’elle est poussée à l’extrême et qu'elle devient inadaptée pour évaluer.
  • Le pouvoir de la subjectivité construite socialement comme une subjectivité partagée, permettant de limiter les biais.
  • L’avenir d’une telle perspective et l'intérêt de passer du mythe de l’objectivité à tout prix à une ère post-psychométrique.

Cet article doit amener tout formateur et enseignant à réfléchir à la place de la subjectivité dans l'évaluation et à évoluer d’une conception positiviste (qui vise l'atteinte d'une parfaite objectivité) à une conception constructiviste, consistant à accepter qu’une performance en milieu clinique puisse être perçue de plusieurs façons par plusieurs évaluateurs.

La vision constructiviste rend légitime chaque point de vue, tous complémentaires. On accepte (et c'est la pratique quotidienne de la médecine) que plusieurs soignants experts aient des points de vue différents sur le même problème clinique. Il est donc tout aussi légitime de considérer que plusieurs experts évaluateurs puissent avoir des points de vue distincts à propos du même étudiant. Il s'agit alors de baser l'évaluation sur le recueil de plusieurs expériences subjectives documentées.

Migrer vers une ère post psychométrique reviendrait donc à accepter que l’objectivité soit perçue comme une somme de subjectivités. 

Questions à réponse très courte : fiabilité, discrimination et acceptabilité

Very-short-answer questions: reliability, discrimination and acceptability, Sam et al. (2018), Medical Education - par Mathieu LORENZO

Une question à réponse ouverte très courte (QROTC) est un format de questionnement dans lequel la réponse doit tenir en un à quatre mots. Une équipe européenne a cherché à comparer les qualités docimologiques de ces questions par rapport aux questions à réponse unique (QRU), dans une étude dont les résultats sont publiés ce mois dans la revue Medical Education.

Les auteurs démontrent que les QROTC ont une meilleure validité que les QRU, et qu'elles sont plus discriminantes. Les QRU sont notamment sujets à un important biais d'indicage (les possibilités de réponse sont apparentes). Les auteurs recommandent en conséquence de préférer l’utilisation de QROTC avec correction automatisée aux QRU dans les examens à forts enjeux ou les épreuves classantes.

Transforming Medical Assessment: Integrating Uncertainty Into the Evaluation of Clinical Reasoning in Medical Education 

Transformer l'évaluation médicale : intégrer l'incertitude dans l'évaluation du raisonnement clinique en éducation médicale, Cooke et al. (2017), Academic Medicine - par Mathieu LORENZO

Les soignants doivent prendre des décisions de plus en plus complexes dans leur pratique quotidienne. Leur raisonnement clinique est particulièrement mis à l’épreuve dans ces situations. Dans ce contexte, Suzette Cooke et Jean-François Lemay, chercheurs à l’université de Calgary (Canada), proposent de repenser l’évaluation du raisonnement clinique chez les soignants. Il s'agit de favoriser l'évaluation en situation d’incertitude et de faire en sorte de mettre en lumière qu’il y a parfois plusieurs réponses « acceptables » face à un même problème de santé. 

Les auteurs discutent, à partir de ces propositions, l'intérêt d'introduire précocement dans la formation des professionnels de santé des outils comme le test de concordance de script. Plusieurs défis, comme la nécessité de créer un cadre clair du développement du processus de raisonnement clinique subsistent cependant à l’heure actuelle.

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Enhancing the defensibility of examiners’ marks in high stake OSCES

Améliorer la légitimité des notes attribuées par les examinateurs lors d'ECOS à enjeux élevés, Shulruf et al. (2018), BMC Medical Education - par Chloé DELACOUR

 L’équipe de Boaz Shulruf s’est penchée sur la solitude de l’examinateur face à un étudiant "borderline" lors d’une épreuve d’ECOS. S’appuyant sur sa grande expérience en docimologie, l'auteure a construit un protocole de recherche afin d’évaluer l’intérêt pour les étudiants, les examinateurs et les administrations d’utiliser une méthode mathématique de résolution du dilemme du « Ca passe ou ça casse ? » : l'OBM2 (la version 2 de "l’Objective borderline method").

Partant du constat qu’il est parfois difficile de décider si l’étudiant doit valider ou non un item d’une station d’ECOS, voire toute la station, Shulruf et al. ont créé une épreuve ECOS à destination des étudiants en fin de cursus d’études de médecine en Australie (cette épreuve est associée à une épreuve écrite et à des oraux). Ils ont proposé de remplacer la catégorie de cotation des items "P-" ("borderline pass") par "B", qui dans cette nouvelle notation, signifiait que l’examinateur ne savait pas quoi penser. Au moment de calculer la note, "B" n’était alors plus remplacé par des points, comme l’était le P-, mais par les résultats d'un calcul prenant en compte l’ensemble des autres éléments de la grille de notation, ainsi que la catégorie de l’item coté ("difficile" ou "facile", au vu des notes des autres étudiants) et les capacités de l’étudiant ("agile" ou non, selon l’ensemble de ses résultats).

Une fois tous les éléments mis dans le calculateur, OBM2 a montré une meilleure corrélation des résultats ("échec" ou "succès" à la station de l’ECOS) avec l’ensemble des résultats de l’étudiant, qu’avec une méthode de calcul classique.

Il en a résulté qu'un plus grand nombre d’étudiants a échoué aux stations qu'auparavant... et personne ne s’en est plaint ! Les représentants étudiants, qui avaient émis des réserves avant la réalisation de l’épreuve, ont trouvé la nouvelle méthode de notation et de calcul beaucoup plus claire, et donc, plus juste. Les examinateurs ont trouvé la nouvelle méthode plus simple. L'administration a décidé que la méthode OBM2 devait être généralisée aux évaluations cliniques.

Evaluation in undergraduate medical education: conceptualizing and validating a novel questionnaire for assessing the quality of bedside teaching

L'évaluation en prégradué : conceptualisation et validation d'un questionnaire innovant pour évaluer la qualité de l'enseignement au lit du malade, Dreiling et al. (2017), Medical Teacher - par Mathieu LORENZO

L’enseignement « au lit du malade » représente une part essentielle de la formation des professionnels de santé. Pourtant, il est bien souvent difficile, pour les enseignants cliniciens, d’obtenir un feed-back sur la qualité de leur enseignement « au lit du patient » de la part des étudiants.
Dans un article paru en mai 2017 dans une grande revue d’éducation médicale, Katharina Dreiling et son équipe proposent un outil novateur pour répondre à ce manque. Les étudiants sont invités à évaluer une série de 18 propositions portant sur la qualité de l’enseignement « au lit du patient », sur une échelle de Likert à trois modalités : « d’accord », « ni d’accord ni pas d’accord » et « pas d’accord ». Ces propositions s’intéressent à l'environnement d’apprentissage, à la préparation de l'enseignement ainsi qu’à l’enseignement en lui-même. Des exemples d'items sont « L'enseignement est cohérent avec les objectifs d'apprentissage définis en amont », « L'enseignant se comporte respectueusement avec les étudiants », ou encore, « L'enseignant illustre le lien entre les différents signes retrouvés à l'examen clinique ».

Les différents tests effectués par les auteurs montrent un bon niveau de validité et de fidélité de l'instrument. Dans ces conditions, ce questionnaire doit permettre aux enseignants d’améliorer la qualité de leur enseignement, en identifiant leurs points forts et leurs faiblesses. Les auteurs proposent aussi d’utiliser le questionnaire comme outil d'évaluation dans le cadre des avancements de carrière, afin de promouvoir les meilleurs enseignants.

Recherche en éducation médicale

Effets du développement professionnel continu sur la performance des professionnels de santé et sur l’état de santé des patients : une scoping review de synthèses sur le sujet

Effect of continuing professional development on health professionals’ performance and patient outcomes: a scoping review of knowledge syntheses, He et al. (2021), Medical Education - par Racha ONAISI

Le développement professionnel continu (DPC) fait partie des obligations déontologiques, mais aussi légales des professionnels de santé. Son objectif est d’améliorer les pratiques professionnelles et l’état de santé des populations, en favorisant l’entretien et le développement des compétences des soignants. Samuel et al. ont dressé un état des lieux des connaissances concernant l’impact du DPC sur les performances des professionnels de santé et l’état de santé des patients. Pour cela, ils ont effectué une scoping review de revues de la littérature rapportant une évaluation aux niveaux 3 (l’impact sur la pratique ou le transfert des apprentissages dans la pratique) et 4 (les bénéfices pour les patients) du modèle de Kirkpatrick.

1 786 études primaires étaient représentées dans les 63 revues de littérature incluses. La majorité concerne le DPC des médecins, suivi de celui des infirmiers. De plus en plus de dispositifs intègrent une composante pluriprofessionnelle. Les auteurs définissent un paysage du DPC varié, en termes de modalités (présentiel, distanciel ou mixte), d’interventions, d’impact ou encore de coûts.

Ils identifient trois principaux défis de la recherche sur le DPC, expliquant la difficulté à porter des conclusions sans appel : son hétérogénéité, la variabilité des critères de jugement et la qualité généralement faible des études incluses dans les revues. Sans grande surprise, ils rappellent qu’il est difficile de comparer des interventions éducatives, et même d’évaluer l’impact d’une intervention pédagogique selon les niveaux 3 et 4 du modèle de Kirkpatrick. Quel design de recherche mettre en œuvre ? Il est illusoire de penser que le gold standard de la recherche thérapeutique - l’essai randomisé contrôlé - est aisé à déployer lorsqu’on évalue des formations, car il est impossible de contrôler tous les facteurs qui influencent les apprentissages et leur transfert dans la pratique professionnelle. Toutefois, l’absence fréquente d’un groupe contrôle et d’outils validés d’évaluation des critères de jugement de l’impact est un enjeu important à considérer. On peut aussi s’interroger sur le manque notable d’études de qualité concernant le DPC : est-ce en raison d'un faible intérêt pour le sujet ou d'un défaut d’exigences quant à la qualité des formations DPC ? Ce point n'est pas abordé dans l'article.  
 
Les auteurs proposent quatre conclusions principales.
 
La première est que le développement professionnel continu recouvre des activités d’apprentissage diversifiées, mises en œuvre dans des cadres tout autant formels qu'informels. S’il est évident que de nombreuses situations professionnelles sont source d’apprentissage, notamment quand la posture réflexive des professionnels est favorisée, il pourrait être intéressant de s’interroger sur un éventuel « curriculum caché » dans le cadre du DPC.

Les auteurs ne questionnent pas du tout cette composante lorsqu’ils soulignent l’intérêt du e-learning pour rendre plus accessible la formation par des leaders d’opinion. Or, la promotion pharmaceutique fait souvent appel aux leaders d’opinion dans ses stratégies et de nombreux travaux démontrent des impacts négatifs de cette promotion sur les prescriptions. Pour autant, le e-learning présente d’autres intérêts qu’il convient de prendre en compte ; c’est la deuxième conclusion de cette revue.
 
Troisièmement, il est intéressant d'observer que, malgré les difficultés à évaluer les niveaux 3 et 4 du modèle de Kirkpatrick, 67 % des revues incluses rapportent des effets positifs du DPC sur la pratique professionnelle et/ou l’état de santé des patients. Ce constat appuie la nécessité de promouvoir la formation continue tout au long de l’exercice professionnel. Pour l’avenir, les auteurs recommandent de commencer la démarche d’ingénierie pédagogique par l’identification des résultats souhaités sur l’état de santé des populations, ces derniers servant ensuite de critères de jugement de l’efficacité de la formation proposée.
 
Enfin, les aspects financiers du DPC ne doivent pas être négligés. Au-delà des questions d’accessibilité pour les professionnels (en France, nous avons la chance de pouvoir bénéficier de dispositifs de financement du DPC), soulevées par les auteurs, il serait, là aussi, important de questionner les sources de financement. Les formations DPC devraient, dans la mesure du possible, être financées indépendamment de l’industrie pharmaceutique, dès lors que l'on s’inscrit dans la perspective du précédent paragraphe : la priorité doit être le développement des compétences en vue d’améliorer l’état de santé des populations. Cet enjeu n’est toutefois pas traité ici.
 
Pour conclure, si cette scoping review ne révolutionne pas la question du DPC, elle a le mérite de mettre l’accent sur la formation continue des professionnels de santé et de rappeler que cette dernière est tout aussi importante que la formation initiale. Les compétences sont un processus dynamique. Elles doivent donc être constamment développées. Les modalités envisageables pour y parvenir sont multiples, mais, dès lors que l'on construit un dispositif de formation continue, la même rigueur que pour nos étudiants en formation initiale doit s'appliquer.

Les étudiants en médecine : des chercheurs essentiels de première ligne pendant la pandémie de COVID-19

Medical students as essential frontline researchers during the COVID-19 pandemic, Alshak et al. (2021), Academic Medicine - par Racha ONAISI

C’est une réflexion déjà amorcée avec la newsletter de février, que l’article de Ashlak et al. nous permet de poursuivre : dans cette crise qui dure, des expériences positives ont vu le jour, riches en enseignements pour l’avenir, notamment pour la formation des futurs professionnels de santé.

Ashlak, Li et Whemever sont des étudiants en médecine new-yorkais. Ils co-signent un retour d’expérience sur une initiative dont ils ont été leaders il y a maintenant un an, lorsque la vague pandémique a déferlé sur la planète et mis un brutal coup d’arrêt à la formation clinique des étudiants en médecine prégradués (l'équivalent du premier et du deuxième cycles, en France). Face à la frustration de ne pas pouvoir aider au lit des malades, qui affluaient alors, imposant des mesures inédites d’adaptation dans les hôpitaux, les étudiants se sont mobilisés pour s’impliquer autrement : aide logistique, recherche d’équipements de protection, investissement de missions de santé publique… Les engagements ont été divers, et comme nous l’avons évoqué en février, source d’apprentissages et de développement de l’identité professionnelle.

A Cornell, un groupe de plus de 70 étudiants volontaires s’est mobilisé pour créer et alimenter un registre qui constitue une mine d’or d’informations pour les soignants de trois hôpitaux : présentation clinique, comorbidités, parcours d’hospitalisation, évolution clinique pour tous les patients atteints de COVID-19 hospitalisés dans trois établissements. L’initiative, portée par des étudiants, a été soutenue et accompagnée par des universitaires. Le registre qui a été créé a permis de mettre à la disposition des soignants de première ligne un tableau de bord évolutif sur les caractéristiques cliniques, les facteurs de risque d’aggravation, mais aussi des données relatives à l’occupation des lits de réanimation et soins intensifs, permettant aux soignants d’adapter au fur et à mesure leur prise en charge face à cette pathologie nouvelle, en s’appuyant sur un recueil de données extensif et de qualité. Il a aussi permis la publication, dans le New England Journal of Medicine, de l'une des premières descriptions des caractéristiques cliniques d’une cohorte de patients hospitalisés pour COVID-19, et donc, le partage de ces informations avec l’ensemble de la communauté médicale et de recherche.

Cette expérience a permis aux étudiants de développer des compétences en recherche, un champ probablement trop peu investi dans la formation initiale des étudiants en médecine et, plus globalement, en santé (la hauteur de certains débats et affirmations « scientifiques » que nous avons pu entendre depuis maintenant un an le laisse penser). Mise en place et structuration d’une base de données et, plus largement, mise en œuvre de la recherche clinique et implémentation de recommandations basées sur les preuves, sont deux exemples d’apprentissages réalisés. Par ailleurs, cela leur a permis de développer leurs compétences cliniques malgré l’éloignement des terrains de stage, tant sur la prise en charge médicale des patients atteints de COVID-19, que sur les capacités communicationnelles, l’empathie, ou encore le suivi des patients dans le temps.

Ce retour d’expérience démontre la résilience et la capacité d’initiative de nos futurs confrères, qui bien qu’encore en formation, ont su démontrer un professionnalisme et une conscience de la responsabilité sociale qu’implique l’exercice des métiers de la santé. A nous, en tant que formateurs, de valoriser, d'encourager et d'accompagner ces initiatives riches en apprentissages pour tous.

La théorie, un personnage oublié ? Sa place dans les articles d’éducation en médecine générale

Theory, a lost character? As presented in general practice education research papers, Brown et al. (2018), Medical Education - par Chloé DELACOUR

Que celui qui n’aime pas les histoires passe son chemin. Pour nous autres, James Brown et son équipe nous invitent à nous lever et à les suivre dans un monde d’hommes de sciences (qui ne serait rien sans les femmes de sciences, évidemment) pour comprendre en quoi la présence explicite des théories dans les articles de recherche en éducation médicale permet de nous sentir bien.

C’est donc un drame qui nous est proposé : celui de la Théorie oubliée. Brown et ses acolytes sont partis en quête de celle-ci dans le monde de la recherche en éducation en médecine générale. Après avoir parcouru minutieusement cinq années de grimoires (les bases de données), ils ont pu mettre en évidence qu’Anna d’Arendelle n’est pas la seule héroïne sous-évaluée : Théorie pâtit aussi d’une mise en lumière insuffisante.

Utilisant les conseils de Campbell pour le décryptage des histoires, ils ont pu identifier dans les rares narrations qui mentionnaient spécifiquement Théorie que celle-ci pouvait avoir plusieurs rôles, associés à des tâches précises : l’Héroine qui justifie l’histoire, la Mandatrice qui crée la quête, l’Alliée qui accompagne et soutient, le Mentor qui guide et apporte de sages conseils.

L’expression claire et précoce du rôle de Théorie permet ensuite à l’auditoire de comprendre les enjeux et les buts de la recherche. Et plus la place de Théorie est explicite, plus il sera facile de se plonger dans l’histoire et d’en ressortir bouleversés.

La prochaine fois que vous devrez construire un article de recherche en éducation des sciences de la santé, prenez-vous donc pour un auteur de nouvelles à succès. Choisissez votre perspective : humaniste (en vous focalisant sur vos protagonistes), socioculturelle (si c’est le décor qui vous plaît) ou cognitivo-comportementale (si vous aimez fouiller dans les rouages de la pensée). Invoquez ensuite Théorie et donnez-lui un rôle :

  • s’aligner avec votre position d’auteur
  • permettre l’identification du problème de recherche
  • servir de véhicule pour vos idées
  • fournir un outil méthodologique
  • interpréter vos résultats
  • offrir un objet d’analyse.

Et surtout, rappelez vous que Théorie, comme Monica Bellucci, mérite pleinement d’être mise dans la plus belle des lumières.  

12 conseils pour mener des entretiens en recherche qualitative

Twelve tips for conducting qualitative research interviews, McGrath et al. (2018), Medical Teacher - par Mathieu LORENZO

Les entretiens sont un puissant outil de collecte de données en recherche qualitative. Ils sont une occasion unique d’explorer des expériences propres à un individu ou à un groupe, en apportant des informations sur la manière dont les phénomènes étudiés sont vécus et perçus. Alors que la plupart des chercheurs en éducation médicale ont l’habitude de mener des interrogatoires dans leur pratique de soignant, la réalisation d’entretiens en recherche qualitative comporte un certain nombre de spécificités. 

Pour aider les novices dans ce domaine, une équipe suédoise propose douze conseils pour réaliser des entretiens qualitatifs. Parmi ces conseils, on note en particulier :

  • l’intérêt de se préparer à son rôle d’interviewer en maîtrisant le sujet, en lisant sur la méthodologie employée et sur les techniques d’entretien ;
  • la nécessité de choisir le moment et le lieu les plus favorables pour l’interviewé ;
  • le besoin de tester le guide d’entretien en portant une attention particulière au langage utilisé (éviter le jargon), à la clarté des questions et à l’écoute active de l'interviewer.

Les auteurs conseillent également de vérifier les données en soumettant par exemple les retranscriptions des entretiens aux interviewés. 

Introduction pédagogique et ludique à la recherche qualitative

Codsi (2017), Pédagogie Médicale - par Elodie HERNANDEZ

Cet article s’adresse à tous les chercheurs, qu’ils utilisent la méthode qualitative ou quantitative. L’auteure est médecin de famille, au Québec. C’est une jeune chercheuse en pédagogie et enseignante en médecine de famille. Elle présente un dialogue entre un « quantitativiste », Georges Goodwill (médecin anatomiste et chercheur reconnu dans son domaine) et une « qualitativiste », Lucy De Groot (ethnologue de renom). Cette rencontre épistémologique, au sens de l’étude critique des sciences et de la connaissance, met en valeur la recherche qualitative en expliquant ce en quoi elle consiste. Ce dialogue entre « deux mondes » ne les oppose pas. Il n’y a pas de débat pour savoir si le « quanti » est meilleur que le « quali », ou inversement. D’ailleurs, l’éclairage apporté montre aussi certaines dérives de la recherche qualitative, qui pour légitimer son existence a parfois utilisé des équivalents positivistes qui peuvent lui faire perdre son essence interprétative. L'article vise précisément à expliquer le paradigme positiviste pour justifier la création du paradigme interprétatif/constructiviste.

Une fois posée cette vision de la recherche, qui ne cherche plus à mettre en évidence une seule vérité en la quantifiant, le dialogue se poursuit. Lucy avance son argumentaire pour répondre aux interrogations du médecin sur l’analyse qualitative, ses « biais » et son utilité. Progressivement, elle déroule un fil qui met en lumière la rigueur de la recherche qualitative, qui cherche à construire du sens, tout en acceptant la subjectivité du sujet de recherche et du chercheur lui-même.

Dans le dialogue, le chercheur est mis au centre du débat, car il est l’outil d’interprétation et c’est lui qui donne du sens aux données recueillies. Cette place est mise en exergue par Lucy, qui souhaite montrer l’importance de la posture du chercheur et de son attitude. Les échanges entre Lucy et Georges témoignent également du cheminement de la recherche qualitative et de la nécessité d'effectuer de nombreux allers-retours entre le cadre théorique, le recueil des données et leur interprétation.

Cet article sort des sentiers battus. Le dialogue imaginaire entre les deux acteurs reprend la plupart des critiques entendues par les chercheurs utilisant la méthode qualitative lorsque des quantitativistes les critiquent ou ne comprennent pas ce qui est fait. Ce dialogue éloquent est une bouffée d’oxygène de par sa finesse intellectuelle et son approche philosophique. Espérons qu’il puisse servir l’ensemble des chercheurs et de la communauté scientifique pour pouvoir se comprendre, sans s’opposer, et que les deux méthodes puissent coexister de façon équilibrée dans la recherche scientifique.

Pourquoi les questions ouvertes figurant dans les questionnaires sont-elles peu à même de soutenir des analyses qualitatives rigoureuses ?

Why Open-Ended Survey Questions Are Unlikely to Support Rigorous Qualitative Insights, LaDonna et al. (2017), Academic Medicine - par Chloé DELACOUR

Qui n’a jamais laissé, à la fin d’un questionnaire, l’une ou l’autre question ouverte, avec un espace plus ou moins grand d’expression libre, en vue de "donner la parole" à la personne interrogée ? Investigateurs de l’indicible dans des cases, nous avons tous eu le désir d’aller plus au fond de la pensée de nos dévoués objets de recherche.

LaDonna, Taylor et Lingard publient dans la revue Academic Medicine un court article éclairant les raisons qui doivent précisément nous conduire à ne pas fonder des recherches qualitatives sur des données issues de questions ouvertes (QO). Les auteurs sont ainsi catégoriques : les réponses en texte libre de questionnaires ne peuvent pas fournir des données sincères et crédibles. De surcroît, les techniques d’analyse utilisées sont souvent inappropriées.

Il ne faut pas pour autant renoncer définitivement aux QO, mais leur redonner une juste place. Ces données doivent ainsi permettre de renforcer des données quantitatives, de mettre en évidence des problèmes dans le questionnaire, voire d’inspirer de nouvelles pistes de recherche.

Pour atteindre ces objectifs, le chercheur doit être vigilant à trois éléments :
  • Considérer dès le départ les QO comme un élément auxiliaire de l’étude première et non comme une étude isolée ultérieure.
  • Faire en sorte que la question de recherche et les méthodes d'analyse soient appropriées, dès lors que l’objet d’étude est composé directement des réponses aux QO.
  • Se faire aider d’un chercheur expérimenté en recherche qualitative.

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Making theory explicit - An analysis of how medical education research(ers) describe how they connect to theory

Rendre la théorie explicite - Une analyse de la façon dont les chercheurs en éducation médicale décrivent leurs liens avec la théorie, Laksow et al. (2017), BMC Medical Education - par Chloé DELACOUR

La définition du cadre conceptuel représente la base de toute recherche. Et pourtant, c’est un élément qui manque souvent d’explicitation dans les travaux de recherche en éducation médicale. Laksow et al. ont réalisé une analyse de publications en éducation médicale afin de définir la façon dont des auteurs reconnus définissent et utilisent leur cadre conceptuel. Ils ont produit une métaphore pour décrire les trois manières d’explorer un thème de recherche : celle de l’exploration d’une île aux trésors.
L’île est le sujet de recherche ; les trésors sont les résultats de la recherche. Le chercheur et son équipe disposent d’une carte, souvent ancienne et peu précise qui définit des contours, des éléments de l’île. Ils peuvent choisir d’aller l’explorer en bateau, et donc d’en approcher certaines zones de la côte, voire d’y mettre pied pour la connaître dans ses moindres détails. Ils peuvent utiliser le phare placé à l’extrémité de l’île, dans une zone qu’ils auraient par exemple déjà visitée en bateau. Ils auront une vue plus dégagée, pourront envisager des chemins pour relier des éléments du paysage. Ils peuvent alternativement prendre un avion pour survoler l’île dont ils connaissent des zones, parfois des chemins, souvent décrits par d’autres aventuriers avant eux. Ils auront une vision d’ensemble, mais perdront les détails.
En sciences « dures », dont les sciences biomédicales, une théorie est un système d’idées expliquant un phénomène, dont l’utilisation permet d’obtenir des résultats précis dans des études empiriques. Au contraire, en éducation médicale, l’utilisation d’une théorie ou d'un cadre conceptuel définit l’objet d’étude en lui-même et représente un parti pris, le choix d’un mode d'exploration, qu’il est essentiel d’expliciter aux lecteurs afin qu'ils puissent se repérer sur la grande carte du Nouveau Monde. 
Alors, en route!

Formation à distance

12 astuces pour favoriser l’engagement des étudiants dans la formation à distance synchrone

Twelve tips to enhance student engagement in synchronous online teaching and learning. Khan et al. (2021), Medical Teacher - par Elodie HERNANDEZ

La pandémie de Covid-19 a marqué l’avènement des formations en ligne. L’impossibilité de se rencontrer a favorisé l’acceptabilité de ce format par les enseignants et les étudiants. Le phénomène semble pour le moment persister. Il a permis à plusieurs d’entre nous de se former à divers sujets pour lesquels nous ne nous serions peut-être pas déplacés. Nous sommes cependant tous témoins (ou victimes) de formations en ligne de qualité médiocre, dans lesquelles les interactions sont inexistantes et l’approche pédagogique laisse à désirer.

C’est pour cette raison que j’ai décidé de vous présenter, dans cette lettre, l’article didactique de Khan et al., qui contient 12 astuces pour améliorer l’apprentissage des étudiants lors des cours en ligne synchrones.

  1. Choisir l’interface en ligne appropriée pour intégrer des activités synchrones
  2. Utiliser les principes de conception pédagogique en ligne pour une expérience d’apprentissage synchrone efficace
  3. Permettre les échanges grâce à des chats en temps réel
  4. Utiliser un tableau virtuel pour construire des processus de pensée collaboratifs
  5. Impliquer les étudiants avec des tableaux interactifs
  6. Utiliser des salles virtuelles pour des apprentissages collaboratifs en petits groupes
  7. Capter l’attention avec des sondages en ligne
  8. Utiliser des vidéos interactives et des patients virtuels pour les enseignements cliniques
  9. Utiliser des techniques d’improvisation médicale pour développer le professionnalisme
  10. Utiliser des quizz interactifs pour stimuler l’apprentissage actif
  11. Amener du « fun » avec la gamification
  12. Maintenir le niveau d’énergie des étudiants en faisant des pauses

Certaines astuces paraissent évidentes, mais une fois encore, nous avons tous vécu de mauvaises expériences, et j’aimerais tellement que certains formateurs prennent connaissance du contenu de cet article.

Voici quelques précisions sur les 12 astuces.

Astuce n° 1 : le choix de l’interface. En résumé, celle-ci doit être accessible au public visé : choix des ressources universitaires, le cas échéant, ou des ressources les plus pratiques pour former en ligne de façon synchrone (par exemple, Microsoft Teams, Google Classroom, ou encore Zoom).

Astuce n° 2 : la conception pédagogique d’un cours en ligne synchrone doit respecter les principes pédagogiques de l’apprentissage en ligne. Un cours en ligne, même synchrone, reste un acte d’enseignement et d’apprentissage, qui doit répondre aux principes pédagogiques « de base », auxquels on ajoute des spécificités liées à la médiatisation de l’acte par un outil informatique.
La « présence cognitive » de l’étudiant en ligne est favorisée par certaines ressources technologiques.
La « présence sociale » : il faut créer un sentiment d’appartenance, en demandant aux participants d’allumer leurs caméras et en organisant des temps d’échange entre pairs.
La « présence enseignante » : l’enseignant devrait donner au moins une partie des consignes et des informations en direct, faciliter la planification des tâches, et chercher à atteindre les objectifs via des outils adaptés. L’adaptabilité est également requise pour répondre aux problèmes non anticipés, soulevés par les étudiants.
Astuce n° 3 : permettre les échanges grâce à des chats en temps réel
On pourrait croire que les chats en temps réels sont des distracteurs, alors qu’ils témoignent de l’engagement des étudiants, dès lors qu’ils sont en lien avec le sujet du cours. Les étudiants peuvent interagir entre eux et avec l’enseignant, sans déranger le déroulé du cours. Un modérateur associé à l’enseignant peut être désigné pour relever les interrogations et les questions, et ainsi, permettre de les aborder plus tard de façon synchrone. Lors des discussions, le fait de s’adresser directement à l’étudiant, devant le groupe, permet aussi un sentiment d’appartenance plus grand et favorise l’engagement.

Astuce n° 4 : utiliser un tableau virtuel pour construire des processus de pensée collaboratifs
La plupart des outils de formation en ligne permettent d’activer un tableau blanc sur lequel tout le monde peut annoter et partager des liens, des images, ou encore des vidéos. En petits groupes, on peut par exemple faire réfléchir les étudiants sur une question, les faire créer, rapporter leurs opinions, et générer du feed-back. Cette façon de procéder permet de rompre la monotonie et la verticalité du cours.

Astuce n° 5 : impliquer les étudiants avec des tableaux interactifs
Les tableaux interactifs favorisent la réflexion des étudiants à travers la création de listes, qui peuvent être réarrangées et annotées par l’enseignant en temps réel ou a posteriori. Cette utilisation est un peu différente de celle du tableau blanc.

Astuce n° 6 : utiliser des salles virtuelles pour des apprentissages collaboratifs en petits groupes
Les salles virtuelles permettent de répartir les étudiants en sous-groupes afin de leur confier des tâches, à l’image de ce qui se passe lorsqu’on fait travailler en sous-groupes les étudiants en présentiel. Deux ou trois modérateurs sont idéalement requis pour favoriser les échanges et le feed-back qui suivra en grand groupe. Selon les modalités du cours, les étudiants peuvent aussi modérer les sessions et rapporter ce qui s’est passé dans chaque groupe.

Astuce n° 7 : capter l’attention avec des sondages en ligne
Les sondages en ligne augmentent l’engagement des étudiants, peuvent favoriser l’apprentissage, diminuer l’anxiété et majorer l’attention lors de cours synchrones. Polleverywhere.com et mentimeter.com sont des sites d’usage courant pour administrer des sondages en ligne. Zoom possède une fonction de sondage incluse. En début de session, ces outils permettent d’explorer les représentations antérieures des participants et d’adapter en conséquence le contenu du cours.

Astuce n° 8 : utiliser des vidéos interactives et des patients virtuels pour les enseignements cliniques
Les vidéos peuvent être fragmentées pour intégrer des quizz sur des points essentiels à retenir. Quant aux patients virtuels, le site bodyinteract.com permet de créer des scénarii et d’interagir avec un patient virtuel. A minima et selon moi, l’on pourrait utiliser un cas clinique bien fait, avec des quizz ou des chats en direct adaptés.

Astuce n° 9 : utiliser des techniques d’improvisation médicale pour développer le professionnalisme
Cette technique d’improvisation, de nature théâtrale, permet de travailler les compétences de communication et de professionnalisme.

Astuce n° 10 : utiliser des quizz interactifs pour stimuler l’apprentissage actif
Les quizz sont de nature à favoriser la motivation intrinsèque et l’engagement des étudiants, que ce soit en présentiel ou à distance. Des ressources telles que socrative.com, classmarker.com ou encore Wooclap sont utilisables à cette fin.

Astuce n° 11 : amener du « fun » avec la gamification
La gamification consiste à utiliser les éléments de conception d’un jeu dans un contexte de « non-jeu ». Ainsi, on gagne des badges et on monte en niveaux, ce qui est de nature à favoriser l’engagement de l’étudiant, mais aussi de donner du sens à ce qu’il fait. Les plateformes Kahoot et fold.it sont connues pour offrir des fonctionnalités de gamification dans l’apprentissage.

Astuce n° 12 : Maintenir le niveau d’énergie des étudiants en faisant des pauses
Il ne faut pas oublier que la formation en ligne est prenante et usante pour chaque partie, et que des pauses doivent en conséquence être aménagées, afin de maintenir l’attention des étudiants tout au long du cours.

Ma conclusion, face à ces 12 astuces, est que l’on peut tous, à notre niveau, nous inspirer du contenu de cet article pour rendre une session de cours en ligne synchrone plus « pédagogique » et plus engageante. Les principes peuvent être mis en œuvre sans avoir une maîtrise avancée de l’outil informatique. Ils sont donc accessibles à tous les enseignants.

Voir ou ne pas voir : les enseignants en médecine doivent-ils demander aux étudiants d'allumer leur caméra lors d'un cours à distance ?

To see or not to see: Should medical educators require students to turn on cameras in online teaching? Leung et al. (2021), Medical Teacher - par Mathieu LORENZO

Faut-il exiger que les étudiants allument leurs webcams lors des cours en ligne ? Cette question revient fréquemment dans les discussions entre collègues à propos des sessions de formation à distance en mode synchrone. Elle est d'autant plus d'actualité au regard des restrictions toujours en vigueur sur les enseignements en présentiels, du fait de la pandémie. 

Dans un court article d’opinion, une équipe anglaise expose, dans la revue Medical Teacher, les arguments « pour » et « contre » le fait d'imposer aux étudiants d'allumer leur webcam. 

Du côté des arguments « pour », allumer les webcams permet aux étudiants de construire leur « professionnalisme digital ». Ils contrôlent et adaptent ainsi la manière dont ils se présentent aux autres en vidéo, et ils développent une communication non verbale adaptée. L’enseignant n’a quant à lui plus l’impression de faire cours à une salle vide et reçoit un feed-back. 

Du côté du « contre »,  la webcam ne semble pas indispensable dans les cours magistraux, où un diaporama occupe la plus grande partie de l’écran. Allumer sa webcam conduit par ailleurs à dévoiler son environnement aux autres étudiants. La démarche est aussi plus exigeante sur le plan matériel (posséder une webcam et une connexion internet de qualité). Ces raisons font que l'activation des webcams pourrait mettre en difficulté les étudiants les plus précaires.

L'argumentaire des deux auteurs est intéressant à lire, alors que ce questionnement est particulièrement saillant dans le contexte actuel de nos formations. Les outils de visioconférence qui offrent la possibilité d'utiliser un fond virtuel permettent de masquer l’environnement personnel des étudiants et de contourner une des limites exposées. Il semble d’autant plus bénéfique que les étudiants allument leurs webcams lorsqu'il s'agit de formations à distance de type « ateliers » ou « travaux dirigés », où la communication avec et entre les participants est essentielle aux apprentissages. 

Enseignement à distance synchrone vs enseignement traditionnel chez les étudiants en sciences de la santé : une revue systématique et une méta-analyse

Synchronous distance education vs traditional education for health science students: A systematic review and meta-analysis , He et al. (2021), Medical Education - par Elodie HERNANDEZ

Il y a 18 mois, cet article n’aurait pas retenu mon attention. Ce jour, avec un an de recul et l'incertitude qui règne en cette période de pandémie, l’enseignement distanciel, qu’il soit synchrone ou asynchrone, est devenu digne d’intérêt.

La méta-analyse effectuée par une équipe chinoise est intéressante quant à sa méthode et aux conclusions. Elle a été réalisée en n’incluant que les essais randomisés comparant l’enseignement synchrone à distance et l’enseignement "traditionnel", dont ont bénéficié des étudiants en sciences de la santé au cours des deux dernières décennies. Seuls sept articles ont rempli tous les critères d’inclusion, ce qui a conduit à recruter un total de 594 participants issus de divers pays.

Les auteurs concluent que les apprentissages réalisés en distanciel synchrone et dans le cadre d'un enseignement "traditionnel" sont équivalents. Ils rapportent aussi, chez les étudiants, un niveau de satisfaction supérieur avec l’enseignement à distance synchrone, en raison de la possibilité d'interagir de façon immédiate avec les enseignants, via les moyens technologiques.

À cette lecture des résultats, nous pourrions crier victoire et nous arrêter là, basculer tous nos cours présentiels en cours à distance synchrones, et rendre synchrones les cours actuellement asynchrones, surtout que nos étudiants sont désormais majoritairement issus d’une génération technophile, hyper connectée, et à l’aise avec les outils numériques. Mais n’allons pas si vite, car la pandémie est bien présente, et la revue systématique et la méta-analyse ne concernent que les articles publiés avant. Par ailleurs, cette méta-analyse ne définit pas l’enseignement que les auteurs qualifient de "traditionnel", mais il semblerait qu’il s’agisse de cours magistraux. La satisfaction exprimée par les étudiants est donc à mettre en parallèle avec un cours magistral, par rapport auquel il n’est pas précisé si des techniques de pédagogie active étaient mobilisées (ce qui est fort peu probable). Les critères d’efficacité étaient quant à eux de nature exclusivement quantitative et avaient trait à la mémorisation des connaissances, évaluées dans le cadre d'un schéma pré-test/post-test. D’un point de vue pédagogique, cela reste discutable et limité sur le plan de la qualité des apprentissages.

La pandémie a entraîné une quasi-généralisation des cours à distance, pas toujours bien préparés et pas toujours adaptés à l’enseignement à distance. Les conclusions de cette méta-analyse doivent donc être considérées comme fragiles et transitoires, d'autant plus que les travaux scientifiques ayant comparé les cours à distance et les (mêmes) cours en présentiel ont mis en évidence un taux d’abandons et d’échecs bien plus important avec le format distanciel.

Nous avons désormais à notre portée de nombreux outils technologiques, de plus en plus accessibles, mais qui impliquent parfois une appropriation complexe, tant pour les étudiants que pour les enseignants. La crise sanitaire a pu créer des crispations et modifier l’acceptabilité et l’efficacité des enseignements synchrones distanciels, du fait de l’impréparation des enseignants et de la nécessité de déployer, dans l'urgence, des cours à distance.

Cette méta-analyse nous inciterait à privilégier un enseignement distanciel synchrone en termes d’efficacité, notamment en contexte pandémique, tout en prêtant une attention particulière aux interactions sociales, aux outils utilisés, et à la préparation et à l’acceptabilité de la démarche. Restons cependant prudents et faisons preuve de discernement afin d’utiliser des méthodes pédagogiques adaptées à la situation : servons-nous de nos compétences pédagogiques pour ne pas réduire la formation à distance à la mise en ligne de diaporamas commentés et de documents divers. Cet article est une nouvelle ressource à prendre en compte dans la mise en œuvre de nos compétences, une nouvelle corde à notre arc… à combiner aux autres !

Conseils pratiques pour développer un sentiment d'appartenance dans la formation médicale en ligne 

Practical guidelines to build Sense of Community in online medical education, Van der Meer et al. (2021), Medical Teacher - par Elodie HERNANDEZ

Le contexte sanitaire actuel est à l'origine de modifications forcées de la formation, en particulier avec le recours accru à l’enseignement à distance. L'un des challenges, dans ce contexte, est de faire naître ou perdurer le sentiment d’appartenance à un groupe. L'article que je présente dans cette lettre s'intéresse au sens de la communauté ("Sense of Community"), défini par McMillan et al. comme « un sentiment d’appartenance, un sentiment que les membres comptent les uns pour les autres et pour le groupe, et une conviction partagée à propos du fait que les besoins des membres seront satisfaits grâce à leur engagement à être ensemble ». Le sentiment d’appartenance participe au développement du professionnalisme et à la construction de l’identité professionnelle. Il est, en outre, un facteur de motivation intrinsèque qui influence la réussite. Pourtant, il existe peu de recommandations sur la construction du sentiment d’appartenance dans les formations à distance.

Cette étude qualitative examine les perceptions liées au sentiment d’appartenance d'étudiants néerlandais dans le cadre d’un cours facultatif de « pré-formation » médicale en ligne, durant la pandémie de Covid-19. Les auteurs en déduisent des recommandations sur la création du sentiment d’appartenance dans un contexte de formation en ligne. Sur le plan méthodologique, deux focus groups d’étudiants et un focus group d’enseignants ont été réalisés. Je préfère m’attarder sur les recommandations formulées par les auteurs suite à ces entretiens. L’analyse qualitative est bien détaillée dans l’article pour ceux qui veulent en savoir plus. Le point négatif relevé est que cette étude est fondée sur la participation d’étudiants à un même cours. Evidemment, le cadre devrait être testé sur des étudiants qui suivent d’autres cours et des cours différents… voire dans d’autres pays. A bon entendeur !

Cinq thèmes sont décrits afin de favoriser le développement du sentiment d’appartenance :

  1. Le contact social
  2. La dynamique de groupe
  3. L’influence de l’enseignant
  4. Le format éducatif
  5. Le sentiment d’appartenance de l’enseignant

 1/ Le contact social 
Les auteurs décrivent l’importance de favoriser le lien social entre les étudiants. Il s'agit notamment d'encourager les interactions ayant habituellement lieu en dehors des cours pendant les cours, en les incluant dans la session. Les étudiants peuvent également être incités à échanger de manière informelle, grâce à des outils de communication non académiques (par exemple, Whatsapp)

2/ La dynamique de groupe
Concernant la dynamique de groupe, il est conseillé de demander aux étudiants d'allumer systématiquement leur caméra, afin de conserver les bénéfices de la communication non verbale. La dynamique de groupe est aussi créée par la présentation des étudiants (en invitant, par exemple, ceux qui se connaissent à décrire ce qu’ils ont en commun, ou en créant des mini speed dating entre étudiants choisis au hasard session après session), le fait d'offrir du feed-back, de créer des temps de discussion pendant le cours et en dehors, et de permettre à chacun de partager ses émotions dans un environnement sécure. Il est enfin utile de faire parler les étudiants sur leur vision du métier et de leur carrière.
 
3/ L’influence de l’enseignant
Le troisième point concerne l’influence de l’enseignant sur le sentiment d’appartenance. Il s’agit de trouver un juste équilibre entre l'atteinte des objectifs du cours et le fait de planifier des moments informels, qui créent un sentiment d’appartenance. Il est aussi souhaitable de prendre en compte les individualités de chaque étudiant et de rester accessible, tout en demeurant dans son rôle d’enseignant. Les moyens proposés sont les suivants : créer des discussions informelles sur les intérêts de chacun, préserver la confidentialité des discussions de groupes d’étudiants, oser montrer sa vulnérabilité en parlant d’intérêts personnels, accorder son attention à tous les étudiants, qu’ils soient bavards ou silencieux. Il est aussi utile d'encourager les étudiants à poser des questions par mail et/ou de créer des temps synchrones de questions/réponses à intervalles réguliers.
 
4/ Le format d’enseignement
L'un des points essentiels, dans la création ou l'entretien du sentiment d'appartenance, est le choix du format pédagogique. Ainsi, dans la construction du cours, il est possible d'organiser un système d'évaluation/feed-back entre pairs pour certaines activités, d'encourager les étudiants à travailler ensemble, ou encore de créer des tâches d'évaluation dans lesquelles les étudiants auront un certain degré de créativité et se sentiront autonomes. Les cours magistraux doivent être limités. Ils peuvent s'inscrire dans un format de classe inversée, avec des tâches confiées en amont du cours, dans le but de rendre les étudiants plus actifs pendant le cours.  
 
5/ Le sentiment d’appartenance de l’enseignant
Enfin, le sentiment d’appartenance de l’enseignant est également à prendre en compte, vis-à-vis de ses pairs et des étudiants. Avec les pairs, des temps informels d'échanges sur les expériences d’enseignement peuvent être créés. Il est aussi possible de créer des groupes de soutien entre pairs. L’enseignant peut faire valoir son sens de la communauté auprès des étudiants en expliquant les comportements qui influencent positivement et négativement son sentiment d’appartenance, en tant qu’enseignant (poser des questions pertinentes vs caméra éteinte et bavardage…).

Cette étude permet de mettre en lumière un sujet peu abordé, le sentiment d’appartenance, qui risque fort d'être altéré dans les formations à distance, alors même qu'il est indispensable à la réussite des étudiants et à la qualité de leur exercice professionnel futur. 


Divers

Continuer à former les professionnels de santé en temps de guerre : une scoping review

Maintaining health professional education during war: a scoping review. Dobiesz et al. (2022), Medical Education - par Racha ONAISI

Cette newsletter est avant tout à visée pédagogique. Toutefois, l’éducation médicale n’évolue pas déconnectée du monde et de ses questionnements, évolutions et défis. C’est ainsi qu’a émergé et continue d’évoluer une riche littérature autour des enjeux de santé environnementale et planétaire, de lutte contre les discriminations et les violences, ou encore de réduction des inégalités sociales de santé dans le champ de la recherche en éducation médicale. Et notre monde est aussi émaillé de guerres, trop nombreuses, toutes terribles et insupportables.

J’adresse mon respect et mon admiration les plus sincères à nos collègues du soin et de la formation en santé, quelles que soient leurs origines, leurs croyances et leur langue, qui réalisent jour après jour leur travail sous le bruit et la fureur des bombes. Et en ce moment où le Liban, mon deuxième pays, est sous les bombes, une fois de plus, une fois de trop, mes pensées s’envolent auprès de mes proches bien évidemment, mais aussi de l’ensemble de ce peuple dont la résilience déjà trop éprouvée est encore mise à l’épreuve. Et parmi ces concitoyens libanais, je tiens à adresser mes pensées à nos consœurs et confrères, à l’ensemble de nos collègues soignants et enseignants, rencontrés lors des évènements de la Société internationale francophone d'éducation médicale (SIFEM) et/ou lus avec intérêt dans les pages de la revue Pédagogie Médicale, à ces membres de la communauté francophone en éducation médicale qui, dans une épreuve des plus terribles, continuent de faire leur travail avec un engagement et un courage remarquables.

Et en pensant à eux, je me suis justement demandé : « Mais comment fait-on, en temps de guerre, pour ne pas laisser aussi mourir la formation des étudiants en santé ? Comment ne pas les jeter en pâture aux atrocités de la guerre pour parer au plus pressé ? ». En souhaitant répondre à cette question, mes recherches m’ont menée à la scoping review de Dobiesz et al.

Les auteurs rappellent, si besoin en est, les conséquences dramatiques des guerres sur l’état de santé des populations. Elles blessent, mutilent, traumatisent physiquement et psychiquement, et tuent, évidemment, y compris parmi ceux qui ont fait du soin leur métier. Au-delà d’un effet direct, les guerres ont des retentissements élargis, plus indirects, sur la santé et sur l’accès aux soins. Les guerres font fuir, y compris les soignants, et comment blâmer quiconque de vouloir protéger ses proches et échapper à la peur et à l’horreur ?

Dobiesz et al. proposent d’envisager les barrières et solutions pour tenter, malgré tout, de préserver les effectifs soignants, en maintenant notamment une formation adéquate et en préparant les futurs professionnels aux défis qui les attendent. Cinquante-six études ont été incluses, concernant 17 pays et 17 conflits armés distincts. La moitié des études traitait de conflits postérieurs à la Seconde Guerre mondiale. Les barrières et défis auxquels fait face le monde de l’éducation médicale en temps de guerre concernent le curriculum (comment l’adapter ?), les ressources (des livres aux salles de classe, en passant par les rotations cliniques et la supervision qui y est nécessaire), le personnel (étudiant comme enseignant et administratif), le bien-être (physique et mental) et les aspects organisationnels (accréditation, gouvernance, etc.). La majorité des interventions décrites dans la littérature cible le curriculum et les défis liés au personnel : adaptation des durées de formation en supprimant les périodes de congés pour diplômer plus vite, intégration de la médecine de guerre dans la formation de tous les étudiants… parfois au détriment de la préparation aux enjeux de soins de santé primaire et de prévention, difficile à prioriser quand les blessés de guerre affluent quotidiennement, alors que, pourtant, ce sont des enjeux majeurs pour la reconstruction qui suit les guerres.

L’essor des technologies de l’information et de la communication permet, à condition que la connexion internet reste accessible, que les étudiants puissent suivre tant bien que mal des formations, issues de leurs universités ou via des plateformes à travers, par exemple, des MOOCS. Face à l’attrition des effectifs, les solutions restent partielles et parfois insatisfaisantes. Les interventions ciblant la préservation et le bien-être des étudiants en santé représentent environ 25 % des interventions décrites à l’ère de la guerre post-moderne. Pourtant, ce pourrait être un levier actionnable sur l’attrition, à défaut de pouvoir agir sur d’autres causes de ce phénomène. Mais le défi est immense, évidemment, d’envisager le bien-être lorsque tout fonctionne de façon dégradée tournée sur la survie.

La scoping review n’a retrouvé aucune stratégie de validation d’intervention préalablement décrite dans un conflit ultérieur. C’est malheureusement peu surprenant : préparer la guerre est peu réjouissant, et lorsqu’elle est là, difficile de se lancer dans une approche Best Evidence Based Medical Education.

Malgré le fait que les belliqueux affirment qu’aujourd’hui, la guerre peut être plus propre, plus précise, et même chirurgicale, le constat est que sur plus d’un siècle, des années 1910 aux années 2010, il est possible d’appliquer le même cadre d’analyse pour étudier les conséquences dramatiques de la guerre sur la formation des futurs professionnels de santé. La forme des conflits et la typologie des belligérants changent, mais une bombe de haute technologie reste une bombe.

Espérons n’avoir jamais à réellement utiliser le cadre d’analyse proposé à Dobiesz et al. ni à devoir implémenter des interventions que nous aurions décrites dans un « protocole d’urgence ». Mais pour nos collègues qui n’ont pas cette chance et qui, eux, doivent aujourd’hui faire face, peut-être faudrait-il considérer l’enjeu de réfléchir et construire ces plans B ? Partager nos ressources numériques pour en faire bénéficier les étudiants ?

Je conclurai cette newsletter inhabituelle sur un souhait. Celui de voir les valeurs défendues par la Déclaration de Genève, adoptée par l’Assemblée générale de l’Association Médicale Mondiale, participer à ce que les soignants, à travers le monde, soient vecteurs de changement et de pacification : « […] Je veillerai au respect absolu de la vie humaine ; Je ne permettrai pas que des considérations d’âge, de maladie ou d’infirmité, de croyance, d’origine ethnique, de genre, de nationalité, d’affiliation politique, de race, d’orientation sexuelle, de statut social ou tout autre facteur s’interposent entre mon devoir et mon patient ; […] ; Je n’utiliserai pas mes connaissances médicales pour enfreindre les droits humains et les libertés civiques, même sous la contrainte ; Je fais ces promesses sur mon honneur, solennellement, librement. ».

ChatGPT : un cadre éthique indispensable pour réglementer et maîtriser son usage en formation

ChatGPT : the need for an ethical framework to regulate its use in education, Maboloc (2023), Journal of Public Health - par Racha ONAISI

Il y a quelques mois, j’entendais parler de Chat GPT pour la première fois, dans le cadre d’une inquiétude soulevée par un collègue concernant l’impact d’un tel outil sur la pertinence de continuer d’évaluer les étudiants à travers des traces écrites d’apprentissages. Et, aussi vite que le chatbot a évolué et progressé, le sujet est devenu incontournable. En cette rentrée, nous, formateurs et enseignants, sommes probablement nombreux à nous demander : « mais que faire de l’arrivée de ce truc-là ? ». C’est, du moins, ce que me laisse penser le nombre important de publications questionnant si ChatGPT est une innovation excitante, un challenge, un fléau, une révolution majeure, ou tout cela à la fois.

Dans sa lettre, Maboloc rappelle que l’intelligence artificielle est un outil qui ne fait plus seulement partie de l’avenir : il est déjà là… Et comme tout outil, c’est principalement son usage qu’il est nécessaire de questionner et de travailler. Un marteau est juste un marteau. S’en servir pour clouer, c’est bien. Pour visser, c’est immédiatement moins pertinent, voire à risque de provoquer quelques dégâts dans le mur !

La particularité de ChatGPT et consorts, c’est qu’il s’agit d’outils construits comme un système visant à simuler le fonctionnement du cerveau humain, et c’est cela qui contribue à soulever les questions primordiales d’éthique autour de l’intégrité intellectuelle et scientifique, de la qualité des données produites et des apprentissages, ainsi que de l’esprit critique et de son développement.

Pour autant, nier que la capacité de chatGPT à pouvoir proposer des synthèses sur des sujets complexes et à plutôt bien répondre à des examens à enjeux élevés — parmi lesquels le USMLE, au point d’atteindre le niveau attendu d’un étudiant en 3e année de médecine, comme retrouvé dans le travail de Gilson et al. (1) — puisse être très attractive pour les étudiants (qui, rappelons-le, poursuivent comme objectif majeur dans leur vie d’étudiant de réussir leurs examens), serait mettre la tête dans le sable.

Mais alors, que faire ?

Eh bien, tel que le propose Maboloc, en créant le cadre dans lequel, justement, l’on parvient à intégrer ces outils comme des opportunités d’apprentissage, tant dans ce qu’ils peuvent apporter aux étudiants, qu’en préparant ces derniers à en avoir un usage raisonné, critique et adapté, en tant que futurs professionnels de santé. Car comme tout outil, ils ont des avantages, et des inconvénients (2).

Mais aussi en développant des stratégies d’évaluation qui tiennent compte des faiblesses de ChatGPT, ce qui permet d’apprendre aux étudiants à l’utiliser d’une manière adaptée. Comme le montre en effet Lingard (3) dans son article illustrant un cheminement avec Chat GPT, pour un usage qui génère un contenu utilisable et juste, il faut une maîtrise du sujet (car ChatGPT peut avoir la fâcheuse manie d’inventer des sources qui n’existent pas, et d’appuyer des assertions erronées dessus !). Il faut également être en mesure d’analyser de façon critique le contenu produit et les sources que cite l’IA (3). Or, développer une analyse critique est pour le moins utile pour des professionnels de santé. Il est d’ailleurs intéressant de noter que ChatGPT est moins performant pour réaliser une analyse critique de la littérature sur un sujet (rappelons la capacité à fournir de fausses assertions éhontément affirmées comme justes par l’agent conversationnel) que pour répondre à des questions de connaissances. Pour autant, c’est un outil qui peut aider à gagner du temps et à mieux structurer son écrit lorsqu’il est bien utilisé (3).

En conclusion, en ce début d’année universitaire, ne faisons pas les autruches et gardons la tête hors du sable : en tant que formateurs, nous avons, avec ces outils, une opportunité à la fois de nous approprier une ressource qui peut être intéressante, mais aussi d’être au rendez-vous pour préparer nos étudiants à mieux utiliser ces outils qui occuperont une place croissante et probablement majeure dans leur pratique professionnelle future. Apprenons-leur à visser avec une visseuse (ou un tournevis, ça fonctionne aussi) et à clouer avec un marteau, plutôt que de prétendre que les marteaux n’existent pas et ne servent à rien ! Et n’ayons pas peur des marteaux : il faut une intentionnalité (ou une belle dose de maladresse) pour qu’ils soient dangereux.

1. Gilson A, Safranek CW, Huang T, Socrates V, Chi L, Taylor RA, et al. How does ChatGPT perform on the United States Medical Licensing Examination? The implications of large language models for medical education and knowledge assessment. JMIR Med Educ. 2023;9:e45312.
2. Preiksaitis C, Rose C. Opportunities, challenges, and future directions of generative artificial intelligence in medical education: scoping review. JMIR Med Educ. 2023;9:e48785.
3. Lingard L. Writing with ChatGPT: an illustration of its capacity, limitations & implications for academic writers. Perspect Med Educ. 2023; 12(1):261?70.

Douze recommandations pour développer et pérenniser un programme réussi de mentorat entre pairs pour les jeunes universitaires en santé

Twelve tips for developing and maintaining a successful peer mentoring program for junior faculty in academic medicine.

Jacob et al. (2023), Medical Teacher - par Racha ONAISI

En cette période active de renouvellement des postes et de préparation des dossiers universitaires pour les avancements de carrière, l’article de Jacob et al., publié dans la série des Twelve Tips de la revue Medical Teacher, apporte une perspective de réflexion intéressante, notamment pour les filières universitaires encore en construction en termes d’identité professionnelle académique, et qui sont souvent caractérisées par un faible nombre d’académiciens dits « séniors »… mais pas que !

Comme les auteurs le rappellent, le mentorat semble être un facteur clé pour la satisfaction et l’avancement dans la carrière professionnelle, et semble améliorer la productivité en recherche tout en préservant peut-être du risque de burn-out.

Le modèle classique du mentorat dans le milieu académique s’inspire de celui que l’on peut observer en milieu de formation aux soins, avec un mentor habituellement parmi les séniors du milieu professionnel. Toutefois, des barrières et freins, liés à ce modèle de dyade classique, ont été identifiés : manque de temps, enjeux de pouvoir et cadre de relation hiérarchique, objectifs non congruents, et manque de mentors potentiels. Par ailleurs, les auteurs rappellent qu’à l’heure actuelle, la représentation faible des femmes et des personnes issues des minorités aux postes de leadership aggrave encore les barrières à un mentorat efficace pour les universitaires juniors issus de ces profils, contribuant à une plus faible rétention, et donc à entretenir des inégalités.

Mais comment faire, alors ? Jacob et al. nous proposent le mentorat entre pairs, en groupe, comme une alternative au modèle dyadique classique, et développent douze propositions de « trucs et astuces » pour mettre en place ces groupes de mentorat.

Le premier point, sans surprise, est celui d’organiser l’environnement de travail clinique et académique de sorte que du temps dédié à des réunions régulières entre les jeunes universitaires soit fléché et protégé. C’est effectivement une condition sine qua non, y compris si trouver cette place dans les plannings nécessite potentiellement de renoncer à d’autres activités. Si cela permet d’améliorer le bien-être professionnel, la productivité et les avancements de carrière des jeunes universitaires, c’est certainement un temps bien investi et un renoncement associé à autre chose qui en vaut la peine.

Deuxième point, le choix du pair leader, préférentiellement parmi les juniors possédant déjà un peu d’expérience, selon des modalités définies par le groupe tant pour le choix de(s) personne(s) que la durée de maintien en position de leadership. Les responsabilités inhérentes à ce rôle sont classiquement l’organisation, la coordination, l’animation du groupe et le suivi des tâches.
Une fois constitué, le groupe fixe des buts et objectifs de travail pour l’année académique, avec une réévaluation au moins annuelle de ces objectifs, afin de tenir compte des évolutions des besoins tant individuels que liés aux renouvellements et évolutions parmi les pairs membres du groupe.

En lien avec le premier point, pour une efficacité de ce type de mentorat, les réunions doivent se tenir de façon régulière et selon un agenda planifié longtemps à l’avance. Les auteurs proposent un rythme minimal d’une réunion d’une heure par mois, chaque réunion étant planifiée dans son contenu selon les objectifs fixés et les besoins du groupe, incluant un temps où, à tour de rôle, chaque personne fait un état des lieux de son travail et de ses projets.

Un des enjeux est de favoriser la création de réseaux professionnels, au sein du groupe et à l’échelle institutionnelle, notamment par le partage d’informations à ce sujet et les mises en lien via les pairs.
En lien avec la sous-représentation déjà abordée des minorités et des femmes aux postes académiques les plus avancés et aux postes de leadership, Jacob el al. proposent que ces groupes de mentorat entre pairs soient des lieux de lutte active contre le racisme et le sexisme, bien entendu dans leurs manifestations les plus visibles, mais aussi dans leurs manifestations dites parfois « ordinaires », qui constituent pourtant des microagressions répétées aux effets délétères sur les personnes concernées, augmentant le mal-être professionnel, le sentiment d’isolement et les abandons des projets de carrière initiaux. En devenant des espaces sécurisants vis-à-vis des discriminations, les groupes de mentorat entre pairs peuvent ainsi apporter un support sans qu’il soit forcément indispensable que les pairs mentors soient eux-mêmes issus des minorités ou en congruence de genre. En effet, il semble que cela, dans un cadre sécurisant, soit moins important que la congruence des intérêts institutionnels et professionnels.

L’identification régulière des besoins et la fixation des objectifs permettent aussi une évaluation du groupe de mentorat et de son fonctionnement ; l’atteinte des objectifs peut par ailleurs constituer un argument de poids pour pérenniser cette organisation, et notamment les adaptations d’agendas qu’elle nécessite.

Tout comme le leadership et ses modalités doivent être clairement discutés au sein du groupe, il est indispensable que la dynamique de groupe soit gérée de sorte que toutes et tous puissent s’exprimer. Astuce pratique, les auteurs proposent que 15 minutes de chaque heure de réunion soient dédiées aux membres rencontrant une situation particulièrement difficile nécessitant un support additionnel. La mise en place de ces temps peut favoriser l’esprit de camaraderie et ainsi faciliter la collaboration académique.

Les trois dernières astuces visent à favoriser le caractère sécurisé et sécurisant de ces espaces de rencontre et de mentorat entre pairs, afin de permettre une liberté de parole et d’expression concernant les difficultés rencontrées, en garantissant que tout sujet peut-être discuté, en tenant des comptes-rendus réservés aux membres du groupe et au sein desquels il peut être décidé de ne pas tout consigner, et en gardant une souplesse dans la rigueur pour tenir compte des aléas de la vie personnelle, que tout un chacun peut avoir, mais aussi professionnelle (s’adapter à une pandémie, par exemple !).

Ce Twelve Tips peut sembler couler de source ou donner des conseils relevant du bon sens. Toutefois, je pense pouvoir dire, sans trop me tromper, que ce mentorat formalisé et organisé reste l’exception et pas la règle dans nos vies académiques. Et pourtant, lorsque l’on a la chance de pouvoir bénéficier du support d’un mentorat de qualité pour être accompagné et guidé dans ses questionnements, ses doutes, ses challenges, ses projets, c’est une différence fondamentale dans tous les aspects de la vie professionnelle.

Alors, si ce n’est pas déjà en place, quand est-ce qu’on se lance ?

La psychologie du sport appliquée aux formations en santé : une revue systématique autour de la préparation mentale

Applying sport psychology in health professions education: A systematic review of performance mental skills training. Sandras et al. (2021), Médical Teacher - par Elodie HERNANDEZ

En janvier, c’est parfois l’heure des bonnes résolutions. Et souvent, la reprise du sport est en première ligne. Cet article a donc attiré mon attention : peut-on lier le sport et l’éducation, ou, plus précisément, la psychologie du sport et l’éducation des sciences de la santé ? Les auteurs ont réalisé une revue systématique de la littérature afin d’étudier comment la préparation mentale peut être appliquée en éducation des sciences de la santé.

De quoi parle-t-on quand on évoque la préparation mentale des sportifs ? Un sportif (de haut niveau) est préparé à utiliser ses capacités cognitives juste avant et pendant une compétition qui le challenge afin de maintenir ses performances. Par exemple, l’athlète contrôle ses pensées négatives avec des discours positifs qu’il se répète à lui-même, mobilise des visualisations de succès, ou encore de la relaxation physique.

Malgré une exploration de la littérature scientifique sur 20 ans et dans neuf bases de données, seuls 20 articles ont été sélectionnés dans cette revue. Pour être incluses, les études devaient contenir au moins un entraînement de type préparation mentale (avant ou pendant l'activité), chez des étudiants prégradués ou post-gradués en sciences de la santé, et évaluer l'effet de ces entraînements sur des performances cliniques. Les auteurs ont inclus des performances fermées (plus « techniques », comme une pose de voie veineuse) et ouvertes (plus « complexes », comme la coordination d’une équipe au cours d’une réanimation cardiopulmonaire). Les techniques de préparation mentale étaient la visualisation, la relaxation et le « self-talk » (un discours positif que l’on se répète à soi-même).

Ces 20 articles étant très divers quant aux méthodes utilisées, il n’a pas été possible de réaliser des comparaisons statistiques. Cependant, des tendances ont émergé de l’analyse. Les études qui ont montré un lien positif entre la préparation mentale et la performance semblent ainsi être celles qui reposent sur plusieurs modalités de préparation délivrées en face à face, au sein d'un groupe, et par un formateur/entraîneur expérimenté dans ce domaine.

Les auteurs ont formulé plusieurs recommandations pour la formation. Les préparations mentales doivent ainsi cibler des performances cliniques fermées et ouvertes. Elles doivent être espacées et répétées, avec des évaluations, de la rétroaction, et une possibilité de transfert dans de multiples situations, en milieu simulé et authentique. La seconde recommandation concerne l’entraînement en lui-même, qui devrait plutôt prendre place au sein d’un groupe, avec des modalités diverses, avec l'accompagnement d'un formateur expert, et avec des possibilités de personnalisation et de variabilité des situations proposées. La dernière recommandation cible les mesures réalisées lors de l’évaluation des performances. Les auteurs regrettent l’utilisation du rythme cardiaque, de façon isolée, comme paramètre trop souvent mesuré, car celui-ci ne reflète pas la performance de l’apprenant/athlète. Ils préconisent des mesures variées, multiples, qui permettraient d’évaluer l’impact dans la vie réelle.

Cette revue de la littérature m’a attiré, le titre m’a encouragé à choisir cet article, et pourtant, je suis restée sur ma faim. En effet, je pensais qu’il y aurait davantage d’études sur le sujet, et que des liens plus forts existaient entre les performances sportives et les performances en science de la santé. Je m’attendais davantage à ce que les entraînements des uns servent aux autres. En effet, après une journée de travail dans nos métiers de la santé, qui n’a jamais eu l’impression d’avoir réalisé un exploit à l’image d’un sportif de haut niveau qui finirait une course sur un sprint magistral, qui marquerait le but de la victoire ou qui aurait fait l’effort de sa vie en battant son record au marathon ?

Et si les meilleures résolutions de l’année étaient de s’inspirer des autres pour aller plus loin, de trouver des méthodes éprouvées et validées ailleurs pour les mobiliser à notre compte (et inversement), et d’en faire des articles utiles dans une approche pluriprofessionnelle de la formation ?

“Quel genre de médecin voulez-vous devenir ?” Perception par les superviseurs de leur rôle dans le développement de l’identité professionnelle des internes de médecine générale

“What kind of doctor do you want to become?”: Clinical supervisors’ perceptions of their roles in the professional identity formation of General Practice residents. Barnhoorn et al. (2022), Médical Teacher - par Elodie HERNANDEZ

Cet article, au titre attrayant, s’intéresse au développement de l’identité professionnelle des futurs médecins généralistes. À l’heure où, en France, le projet de loi de financement de la sécurité sociale lance des pavés dans la mare en prévoyant l’instauration d’une 4e année de médecine générale, avec des internes en autonomie dans des zones sous-denses, dans le cadre d’une supervision indirecte encore floue, j’ai trouvé que le point de vue des superviseurs sur le développement de l’identité professionnelle de leurs futurs confrères était intéressant à traiter. Les auteurs rappellent qu’une identité professionnelle forte contribue au développement du professionnalisme, diminue le risque de burn-out, et augmente le bien-être et la qualité de vie.

Ce sujet est peu abordé au sein de cette population par rapport aux étudiants d’autres spécialités et aux étudiants prégradués. Il en est de même de l’exploration du point de vue des tuteurs de stage, qui est rare.

L’étude, de nature qualitative, a été menée aux Pays-Bas par une équipe de chercheurs très expérimentés. Elle a été conduite dans plusieurs instituts de formation, ruraux et citadins, auprès de superviseurs d’internes de troisième année de médecine générale. Huit focus groups réunissant quatre à huit participants ont été réalisés, soit cinquante-cinq superviseurs interviewés. Ils ont permis de mettre en évidence que les superviseurs avaient parfois du mal à situer leur rôle dans le développement de l’identité professionnelle de l’interne, et ont conduit à révéler trois thèmes :

  • Superviser avec une image de ce que l’étudiant doit être 
  • Tutorer et être un modèle de rôle
  • Développer des liens de confiance

Le premier thème, superviser avec l’objectif de ce que doit devenir le futur médecin généraliste, consiste à observer l’étudiant lors de la consultation et en dehors (continuité des soins, gestion du cabinet, tâches à manager, soins en dehors des heures de travail, etc.). Les superviseurs catégorisent trois éléments clés dans cette supervision : assurer la sécurité des patients avec la capacité, pour le superviseur, à confier des tâches à l’étudiant ; le passage de l’interne du statut d’« étudiant qui voit un patient » à celui de « médecin généraliste qui suit un patient » ; le changement de relation entre le superviseur et l’interne, qui devient plus égalitaire. En somme, le premier thème correspond au fait que le superviseur vise la transformation de l’interne qui « fait » le travail de médecin généraliste à l’interne qui « devient » le médecin généraliste. Les auteurs rappellent à cette occasion qu’une cinquième strate à la pyramide de Miller a été proposée par Cruess en 2016. Après le « savoir », le « savoir comment », le « montrer comment » et le « faire », la cinquième strate est l’« être ». Et c’est clairement ce qui est visé par les superviseurs, avec une supervision qui évolue vers une relation entre pairs.

Le deuxième thème, tutorer et être un modèle de rôle est plutôt décrit comme informel et peu explicite. Dans la posture de modèle de rôle, les superviseurs montrent ce qu’il faut faire alors que le tutorat est décrit comme plus explicite, avec des temps formalisés d’apprentissage où les superviseurs partagent leurs erreurs et leurs « cadavres du placard », et interrogent l’étudiant sur le médecin qu’il veut être plus tard. Ces deux modèles nous invitent à donner de l’espace tout en développant la confiance de l’interne, afin qu’il construise son identité professionnelle. La littérature définit le modèle de rôle comme centré sur la performance, alors que le tutorat/mentorat est défini comme centré sur le développement.

Le dernier thème est celui du lien de confiance entre le superviseur et l’interne. Les superviseurs parlent de « déclic » qu’ils ont perçu avec les internes. Ce déclic correspond à leur perception de confiance envers l’étudiant. Si le lien est faible, ils perçoivent une insécurité qui les empêche d’être de bons superviseurs. Les interviewés soulignent la nécessité d’avoir suffisamment d’expérience professionnelle et personnelle pour sentir ce déclic. Lorsque le lien est fort, la supervision se fait de façon assez naturelle, sans plans d’apprentissages, alors que le manque de « déclic » les engage dans des tâches de supervision beaucoup plus formelles et planifiées. Cette seconde manière de faire est décrite comme coûteuse en énergie et fait douter les interviewés de leur engagement à former des internes. La notion de déclic est présentée par les auteurs comme inédite dans la littérature. Les liens de confiance renvoient également à l’alliance pédagogique qui, à l’instar de l’alliance thérapeutique, implique une compréhension mutuelle de l’objectif, un accord sur la façon d’atteindre cet objectif et la confiance de l’étudiant envers son superviseur. Dans l’article, ce sont les superviseurs qui avaient besoin de confiance et du déclic. Comme cela est décrit dans la littérature, les professionnels surestiment souvent l’alliance thérapeutique ; les superviseurs pourraient aussi surestimer l’alliance pédagogique et ne pas repérer ses failles.

D’un point de vue pratique, les superviseurs devraient être formés à l’utilisation de différentes méthodes pédagogiques selon les étapes du développement de l’identité professionnelle (tutorat ou modèle de rôle, selon le niveau de l’étudiant, par exemple). Les superviseurs devraient également être sensibilisés quant à leur responsabilité dans l’établissement des liens de confiance, et à la façon dont ces liens peuvent servir le développement de l’identité.

Cette étude est l’occasion de rappeler la nécessité de former les médecins à plusieurs dimensions de la supervision en milieu clinique, qu’il s’agisse des méthodes pédagogiques, du modèle de rôle, du tutorat, ou encore des notions d’identité professionnelle et de création de liens de confiance. De surcroît et comme nous l’avons souligné dans l’introduction, l’identité professionnelle est une notion qui, lorsqu’elle est forte, renforce le professionnalisme et limite le risque de burn-out. De ce fait, nous, formateurs en sciences de la santé, avons tout intérêt à participer au développement d’une identité professionnelle forte chez nos étudiants, afin de les protéger et de nous protéger.

Impact des émissions télévisées médicales sur les connaissances chirurgicales des élèves et des étudiants hors santé de Lahore (Pakistan)

Impact of medical TV shows on the surgical knowledge of non-healthcare students of Lahore, Pakistan. Akeem et al. (2022), Advances in Medical Education and Practice - par Elodie HERNANDEZ

« NFS, chimie, iono… » dans Urgences
« Tout le monde ment…» dans Dr House
« C’est une nuit idéale pour sauver des vies. Alors, amusons-nous ! » dans Grey’s Anatomy
Etc.

Nous développons tous une culture médicale via la télévision. Mais peut-on acquérir des connaissances médicales valides en regardant nos séries télé médicales favorites ? Une équipe de chercheurs pakistanais s’est posé la question. Azeem et al. ont plus précisément souhaité déterminer si les élèves et les étudiants spectateurs de séries médicales, ne suivant pas de cursus en santé, avaient des connaissances chirurgicales plus importantes que les étudiants qui ne regardent pas ce type de séries. Les questions soumises aux participants prenaient la forme de QCM. En voici des exemples.

Qu’est-ce qu’une hystérectomie ?

  • retirer l’utérus
  • traiter l’hystérie
  • retirer un sein
  • retirer la rate

L'appendice est enlevé :

  • du côté droit de l’abdomen
  • du côté gauche de l’abdomen
  • sous les poumons
  • du pelvis 

A quoi sert un scalpel ?

Où est administrée une épidurale ?

La qualité des QCM et, notamment, leur nombre et la répartition des réponses entre les quatre propositions laisse à désirer (beaucoup de A et B, et aucun D, par exemple). Cependant, les résultats sont intéressants, originaux et divertissants. L’étude a inclus 1 097 participants. Un tiers avait plus de 18 ans, et deux tiers avaient entre 13 et 17 ans. Ils avaient un cursus scientifique pour plus de 80 % d’entre eux. Ils avaient, pour plus de la moitié, des proches (ami ou famille) dont les études ou le métier étaient en lien avec la santé.

L’analyse a révélé que les répondants qui regardaient des séries médicales avaient significativement (p<0,001) de meilleures connaissances chirurgicales que ceux qui n’en avaient jamais regardé. Plus le nombre d’heures de visionnage était élevé, meilleures étaient les connaissances. Avoir un proche dans le milieu de la santé permettait également d’avoir de meilleures connaissances (p=0,049). Est-ce que l’intérêt pour les séries médicales augmente les connaissances ou est-ce que de plus grandes connaissances favorisent l’intérêt pour les séries médicales ? Entre la poule et l’œuf…

Cet article montre que des élèves et des étudiants hors santé acquièrent des connaissances chirurgicales en regardant des séries télévisées. Spoiler alerte… une autre étude de 2018 rapportait également cela pour les connaissances médicales ! J’ai évidemment été tentée de faire le parallèle avec les patients que nous rencontrons au quotidien, et avec les représentations présentes dans la population générale et chez nos jeunes étudiants. Cela permet de rappeler l’importance, dans nos formations, de révéler et d’explorer les représentations antérieures, quand bien même elles viendraient du visionnage de telles séries. 

Ces divertissements télévisuels racontent beaucoup de dramas, de love stories, etc., et distillent des connaissances scientifiques, qui doivent cependant être contrôlées pour ne pas induire en erreur, comme le fameux « NFS chimie iono »… La chimie et le iono, c’est pareil ! Et à l’époque, nous n’avions pas la VO pour savoir s’il s’agissait d’un problème de traduction. Les scénaristes de ces grosses productions américaines s’entourent souvent de référents médicaux pour s’assurer de l’authenticité des situations et de la validité des termes employés. Évidemment, le caractère authentique d’un hôpital qui a, en un peu plus de 10 ans, déjà fait face à une explosion, un tueur infiltré, un crash d’avion de ses chirurgiens et un piratage de son système informatique est pour le moins questionnable

Pour autant, la qualité de certaines séries/épisodes pourrait aussi être un outil d’apprentissage, comme le révèle cet article. Et puis, qui n’a jamais vécu une situation médicale qui lui a fait penser à un épisode de série ou pour lequel un épisode de série lui a servi d’inspiration ?

Les étudiants et les internes en médecine ont-ils un impact sur la qualité des soins ? Une évaluation par différents partenaires dans un hôpital universitaire italien en 2019

Do medical students and residents impact the quality of patient care? An assessment from different stakeholders in an Italian academic hospital, 2019. Perri et al. (2021), PLOS One - par Elodie HERNANDEZ

Le titre de cet article questionne une étape clé de l'évaluation des formations, qui relève du niveau le plus élevé de la pyramide de Kirkpatrick : les résultats sur le terrain. Les auteurs ont évalué la perception de la qualité des soins dans un hôpital italien, en interrogeant les étudiants en médecine, les internes, les soignants (médecins et infirmiers) et les patients. Il est intéressant de pouvoir comparer les perceptions de différents partenaires impliqués dans la formation des étudiants et des internes en médecine, et, en particulier, de recueillir l'opinion des patients. Chaque sous-population devait répondre à un questionnaire en ligne de 30 minutes organisé autour de quatre thématiques : la satisfaction quant à la qualité des soins par les internes, perçue par les patients et les soignants, le respect de la confidentialité, la gestion des risques liés aux soins, et la perception par les patients des étudiants et internes.

Les résultats mettent en évidence que "OUI", les étudiants et les internes ont un impact positif sur la qualité perçue des soins. Les évaluations par les différents acteurs sont parfois divergentes. On remarque, notamment, que l'autoévaluation des internes sur leur contribution à la qualité des soins est supérieure à celle évaluée par les patients, alors que l'autoévaluation des étudiants en médecine sur le même item est inférieure à celle évaluée par les patients. Les patients sont également davantage satisfaits de la qualité des soins des étudiants et des internes que ne le sont les soignants, et les étudiants et les internes eux-mêmes. Concernant leur vie privée et le respect du secret professionnel, les patients sont plutôt confiants envers les internes et les étudiants en médecine, alors que les soignants se montrent plus réservés. La gestion des risques liés aux soins englobe quant à elle des thèmes tels que le lavage de mains, le recueil de consentement éclairé, ou encore la tenue des dossiers médicaux. Les perceptions sont très différentes selon les partenaires. L'item consacré à la perception par les patients des étudiants et internes concernait la capacité à distinguer les personnels soignants des personnels en formation. Cela reste compliqué pour les patients.


Cet article contribue donc à montrer, du point de vue des différentes parties prenantes, l'intérêt des étudiants et des internes dans un établissement de soins, au regard, en particulier, de la satisfaction des patients. Il met en valeur la place des étudiants de deuxième cycle, qui est sous-estimée par tous les autres partenaires. L'étude compte cependant d'importantes limites, notamment relatives à son caractère monocentrique. De surcroît, elle n'a pas documenté l'impact réel de la présence des étudiants et des internes dans les services, mais bien la perception qu'en ont les différents acteurs du soin. Les auteurs auraient également pu discuter des modèles de rôle quant à l'item relatif à la qualité des soins : peut-on critiquer les mauvaises pratiques des étudiants sans remettre en question les personnels soignants qui sont modélisants ?

Ce type d'étude aurait en tout cas un intérêt à être développé, dans un contexte qui irait au-delà de celui de la recherche en éducation des sciences de la santé, afin d'évaluer la qualité perçue des soins sur le modèle de l'évaluation à 360°.

Le professionnalisme : le mauvais outil pour résoudre un vrai problème ?

Professionalism: The wrong tool to solve the right problem? Frye et al. (2020), Academic Medicine - par Racha ONAISI

Cet article aurait pu s'intituler "Questionnements sur le rôle du professionnalisme à l’ère de Black Lives Matter". Vous avez peut-être déjà envie de me répondre : « La situation, en France, n’est pas la même qu’aux États-Unis » et de passer votre chemin. Je vous propose tout de même d’accepter l’invitation des auteurs à nous interroger à ce sujet. 

De quoi parle-t-on ? Avant tout de racisme et de discrimination raciale ou ethnique : difficile de ne pas considérer cela comme un problème. Ensuite, de la réponse qui est souvent évoquée par les milieux de la santé : il s’agit de problèmes isolés, relevant d’individus, en lien avec des défauts de professionnalisme. Rappelons ici que le professionnalisme est associé à de nombreuses acceptions dans la littérature, renvoyant notamment à des notions de valeurs, de traits de caractère, de comportements, de moralité, d’humanisme, de rôle, d’identité, voire de contrat social.   Les auteurs nous invitent à nous questionner autour de trois points principaux. La première question qu’ils posent, et qui fait office d’entrée en matière de cette analyse, est la suivante : actes racistes isolés ou racisme institutionnel ? Deuxième interrogation : malgré une bonne intention de départ, la promotion du seul modèle actuel du professionnalisme (et donc les valeurs, comportements, rôles, identités, etc.) ne risque-t-elle pas de conduire à un maintien des standards dominants de comportements et tenues ? Enfin, les auteurs soulignent le risque de réduire le professionnalisme à une checklist de comportements à adopter ou non en fonction du public cible, dénommé par les auteurs « professionnalisme performatif ».  

La première question est primordiale. Même si la construction sociohistorique des États-Unis et celle de la France diffèrent, nous ne perdons rien à nous la poser. Si, effectivement, il s’agit d’actes isolés, ils doivent être pris en compte, analysés et remédiés. En revanche, s’il existe des éléments d’ordre institutionnel, la seule réponse aux incidents liés à des individus ne suffit pas, et le seul professionnalisme ne répondra pas suffisamment au problème.   Ainsi, les auteurs nous invitent à nous pencher sur ce qui constitue les normes professionnelles, par exemple, vestimentaires. Un exemple : la coupe "Afro" est-elle professionnelle ou pas ? Si elle est considérée comme insuffisamment professionnelle, n’est-ce pas le système de normes dans lequel s’inscrit notre conception du professionnalisme qu’il faut questionner ?  

Enfin, comme toujours lorsqu’il s’agit de compétences et de professionnalisme, les auteurs nous mettent en garde contre le risque de simplification en comportements observables, singés par les étudiants pour avoir de bons résultats, au détriment d’une réelle appropriation de valeurs ancrées sur la justice sociale et raciale. Outre la cohérence avec l’impératif de fournir des soins de qualité à tous les patients, un réel questionnement sur son système de valeurs, notamment professionnelles, permet de mieux comprendre et déconstruire les mécanismes de domination en place dans la société et dans son milieu professionnel.  

Globalement, au moment où un certain nombre de concitoyens (et donc de patients) posent la question du racisme dans la société dans laquelle nous (individus et institutions) évoluons, plutôt que de nous offusquer d’emblée, il ne peut qu’être constructif de prendre le temps d’entreprendre une démarche réflexive à ce sujet. Cela pour mieux questionner nos représentations, nos préjugés éventuels et les systèmes sociaux de domination dans lesquels nous évoluons, afin de mieux y faire face et de répondre à l’exigence de responsabilité sociale de nos professions et formations.  

L'éducation médicale produit-elle de meilleurs médecins ?

Yes, but does medical education produce better doctors? Schuwirth et Van der Vleuten (2019), Education for Primary Care - par Mathieu LORENZO

L’éducation médicale produit-elle de meilleurs médecins ? Cette question fait l'objet d'une discussion dans un récent article de la revue Education for Primary Care. Les auteurs soulèvent six difficultés pour y répondre. Voici les trois principales :

Qu’est-ce qu’un « bon » médecin ? La notion de « bon » est changeante selon les évolutions sociétales. Comment évaluer si un médecin est « bon » ? Un « bon » médecin produira de « bons » soins, mais ces soins seront le plus souvent le résultat d’un travail d’équipe (comprenant le patient) et il sera bien difficile d’y individualiser la part liée au seul médecin.
Le développement professionnel continu revêt une importance considérable du fait du raccourcissement de la durée de validité des connaissances en médecine. Un examen de fin de cursus n’est donc plus satisfaisant comme indicateur de formation d'un "bon" médecin. Dans l'impact produit par un dispositif de formation, il faudrait s'assurer que les futurs médecins auront développé les attributs du professionnalisme qui leur permettront d'identifier leurs besoins de formation et de continuer à se former tout au long de leur carrière.

La volonté, issue de la recherche clinique, de généraliser des résultats obtenus auprès d'une population à une autre population est critiquable en éducation médicale. Si une stratégie éducative fonctionne dans une population donnée, d’une certaine culture et dans un certain contexte, elle ne va pas forcement s'appliquer à une autre population, en raison de la non-linéarité des liens entre les variables en jeu dans les situations éducatives et du nombre très élevé de variables, pour beaucoup non contrôlables, qui sont impliquées et qui diffèrent grandement d'un contexte et d'une culture à d'autres.

Le message principal de cet article est que démontrer la supériorité, pour les patients ou pour la société, d’une intervention en éducation médicale est extrêmement complexe. La formation des médecins est fondamentalement multifactorielle. De nombreuses études associant des méthodologies variées et réalisées dans des contextes divers seront nécessaires pour démontrer l’impact de l’éducation médicale sur la qualité de la formation des professionnels de santé.

Revue systématique de la prévalence du burnout chez les médecins

Prevalence of burnout among hysicians: a systematic review. Rotenstein et al. (2018), JAMA - par Mathieu LORENZO

De quoi parle-t-on lorsqu’on évoque le burnout chez les médecins ? Les chiffres évoqués dans la presse varient grandement, mais ils sont systématiquement inquiétants : un tiers, la moitié, les trois quarts… La profession médicale serait ainsi en souffrance. Cette souffrance pourrait se traduire par davantage d’erreurs médicales et une moindre satisfaction des patients.

Une équipe américaine a analysé l’ensemble de la littérature sur le burnout des médecins pour déterminer la manière dont celui-ci est défini et sa prévalence. Les résultats sont surprenants ! La littérature est abondante sur le sujet, avec 186 études publiées depuis 1991. Pas moins de 142 définitions différentes du burnout étaient utilisées dans ces travaux et la prévalence du burnout variait de 0... à plus de 80 % !

Dans ces conditions, il est très difficile de tirer des conclusions claires sur le sujet. Les chercheurs en éducation médicale qui s’intéressent au burnout dans leurs travaux doivent attentivement examiner les outils et méthodes de mesure envisagés, car il n’existe pas de consensus clair dans la communauté scientifique sur ces points.